samedi 6 avril 2024

Tour des Flandres. Il fallait le faire !

 


Je l'ai fait !

Poing rageur, je viens de franchir le Paterberg, sur le vélo. Un mot et une image valent souvent mieux que des longs discours, auxquels je vous ai habitués.

D'aucuns qualifient le Tour des Flandres comme l'une des classiques les plus difficiles du monde. Ce n'est pas de la prétention. Juste ma quête. Ce défi, dont j'avais besoin. Nombreux sont ceux qui passeront cette ultime montée en marchant. Ni mon compère David, ni moi. Question de préparation et d'orgueil. Mais dans quelle proportion ?


Je l'ai fait !

237 km, trois secteurs pavés sur le plat et 17 monts à gravir. 17, comme le nombre de chansons inscrites dans le répertoire des Black Design. Il y a des signes qui me réjouissent, comme je me suis régalé dans chacune des difficultés. A l'image de la musique, certaines sont plus techniques que d'autres et, parfois, je me vautre. Sur un rythme de batterie, les copains désignaient cela "un pain". Ici, cela porte le nom Koppenberg. Un seul concurrent dérape devant vous, et c'est la perte de d'adhérence. Tu termines à pieds, comme la majorité des pros, le lendemain. 

Sourire face à l'adversité. Toujours. C'est une arme mentale redoutable. Autant que les encouragements des spectateurs en K-way sur le bord de la route, qui le déclenchent. Ici, on est en Belgique : un pays qui aime le sport. Bravo et merci à eux !

Car, il a plu une grande partie de la journée  ; mettant nos organismes au supplice dès les premiers kilomètres. Vos pensées chaleureuses étaient déjà loin. Vous savez à quel point j'apprécie vos encouragements avant la course : du like sur Facebook à l'appel (é)motivant de Quenotte, à douze heures du départ. Mais là, il faut déjà se battre. Vraiment ! Frigorifié et les doigts engourdis, je fais parfois le boulot devant : juste pour me réchauffer. Des mecs sont sur le bord de la route. Dans le meilleur des cas, ils réparent un pneu. Dans le pire, ils sont auprès de leur copain, qui a chuté, et de l'ambulance. C'est dur. Déjà. Et nous n'avons pas encore fait les 120 kilomètres qui nous séparent des 17 réjouissances de la journées. Je suis détrempé. L'occasion anticipée, mais rêvée, de tester mon niveau de préparation psychologique. Je me disais prêt comme jamais. Coach BipBip notait que, pour la première fois, je m'étais passé d'une carte mentale. "J'ai tout ce qu'il faut en moi", lui avais-je annoncé, avant qu'il ne conclut par notre phrase fétiche.


Je sais ce que j'ai à faire ; alors je le fais.

Le tri dans mes pensées. Ces conditions me rappellent une hypothermie à l'issue des 30 bornes de Saint Paër (2010) et le Longue Distance du Havre. 2012 : Un boyau crevé, un espoir de chrono envolé ; mais un homme réalisé. A moi de choisir la bonne image. Et je l'ai gardée !

Cerise ou, plutôt, mantras sur le gâteau :
Ce sont les mêmes conditions pour tout le monde !
- Laisse le corps faire, ce dont il est capable (Wim Hof)
- Tu es venu là pour ça : retrouver ce mur et en triompher ! Reach - Break - Proud 

Au deuxième ravitaillement, mon intuition se confirme. La pluie et la course en peloton ne m'ont pas permis de m'hydrater suffisamment. Cela explique les signes de crampes, accentués par les grelottements. La route est encore longue. J'espère pouvoir compenser cela progressivement. Je m'applique donc à manger deux bananes (pour le magnésium) et boire le contenu de mes deux bidons (1,25 l) dans les 90 minutes qui suivent. Comme s'enthousiasmait Pierre Salviac, lors d'une transformation du XV de France :  "Ca passe !"


Je savais ce que j'avais à faire ; alors je l'ai fait.

Les kilomètres et les difficultés s'égrènent avec la drache. Des pavés, des pentes ; parfois les deux. Je roule à un bon rythme : celui de la confiance. Je m'étais bien préparé. Le terrain confirme ce que j'avais compris de l'épreuve. Ma programmation était donc adaptée, comme certains segments que nous avons empruntés avec David. Avec lui, nous avons écumé la plupart des raidards en aval de la Seine. Après celui que je surnomme "Gérard", la course est lancée ! Il s'agit de la cinquième montée de la course ; mais la première vraiment difficile, toute en pavé. J'en avais identifiées quatre comme celle-ci, comportant les fameux Koppenberg, le Vieux Quaremont et le Paterberg. Fait amusant, je n'avais pas cerné que "Mur Van Gerrardsbergen" se traduisait par le renommé "Mur de Gramont" ! Amusant et très motivant, vu la relative facilité à laquelle je l'ai grimpé, après 146 bornes.

Après cela et quelques éclaircies, David retrouve des jambes. Il faut croire qu'il marche à l'énergie solaire ! Il est plus fort que moi et le démontrera sur les ascensions suivantes. Pour vous donner une idée, il roule régulièrement avec Franky BATELIER. Puisque vous n'avez pas fermé votre navigateur, après vous être empressés d'identifier les côtes évoquées, jetez un œil sur le palmarès du gaillard. Il ne fait pas ça uniquement parce que David lui prépare ses roues ! Petite pub non sponsorisée au passage pour les "Roo", avec lesquelles je roule aussi. La configuration que j'avais, avec des pneus tubless de 30, était idéale aujourd'hui. Avec le gravel, je suis plutôt à l'aise dans les portions pavées.

Parenthèse technique close, je dois maintenant être au maximum à l'écoute de mon corps et de mes sensations, pour parvenir à mon objectif. M'engager sans jamais me mettre "dans le rouge". Près de cent cinquante heures de selle en trois mois. Jamais, je ne me suis senti aussi fort sur le vélo. Jamais mon corps et mon esprit n'ont été autant en harmonie. Jamais je n'avais atteint ce niveau de confiance et de connaissance de soi. Reste à le confirmer !

Confirmer mon état de sérénité à l'approche de l'épreuve. Ce moment où un pépin physique ou un stress trop important peut ruiner tous ces mois de préparation. C'est ce que j'ai subi sur le Gelreman, comme j'avais souffert d'une trop longue programmation pour l'Ironman Maastricht. Désormais, j'ai accumulé suffisamment d'expérience pour déterminer un plan adapté aux spécificités de la course et à mon potentiel d'entraînement : physique, technique et temporel. Cette fois, je suis le maître. Je réalise, par exemple, un 200 km assez plat en gravel à quatre semaines. L'Evangile selon Saint Guy Hemmerlin (le saint patron des triathlètes français) indique pourtant du spécifique dans le dernier mois et la séance la plus longue, à deux semaines de l'échéance. Seulement, voilà : "j'avais des copains à voir", comme aurait dit malicieusement un amateur de cyclisme : feu Robbie WILLIAMS dans l'excellent Will Hunting. Je retrouvais en effet ma bande de Graveleux sur Les Pas de Raboliot début mars : Seb, Quenotte et Christophe, mon poulain. J'essaie donc de trouver le savant dosage entre la récupération et la sollicitation. Je remplace ma séance de J-3 par le visionnage d'American Underdog avec ma Chérie : les films d'outsiders m'inspirent particulièrement. L'objectif n'est pas de respecter un programme, mais soi. Visez ce qui vous rendra serein, quoiqu'indiquent les livres et les influenceurs. Qui d'autre que vous et, éventuellement votre coach, sait ce dont vous avez besoin ?

La suite de la course me prouvera que j'ai réussi cette phase d'affûtage. Chose suffisamment rare pour être soulignée. Car le taping - le terme anglais la désignant - s'assimile à la recherche de la pierre philosophale. On parle d'un gain de performance de 6% (en fait de -3% à +3%) ; mais personne n'est capable de trouver une recette universelle. Cela fait partie de ces mystères sportifs qui me passionnent.


Je sais ce que j'ai à faire ; alors je le fais.

Je suis donc très concentré sur la suite. A peine affecté par l'embardée de cette cycliste dans le Koppenberg, qui m'oblige à le terminer à pieds. Le Koppenberg sur le vélo, c'était le bonus. L'objectif c'est le Paterberg ! Vigileant dans l'effort, je m'alimente et m'hydrate. J'écoute mon corps comme rarement. A vrai dire, mes chéries pourraient être jalouses d'autant d'attention.

J'écoute également mon vélo. Le frein avant grince atrocement. Il y a quelques années, j'aurais stoppé pour le regarder. Mais, il fait trop froid pour s'arrêter. Surtout, j'ai gagné en expérience ; distinguant la gêne du handicap rédhibitoire. Les qualités de freinage sont toujours là ; donc, je poursuis. Tout le reste est nickel, notamment le pédalier nettoyé par Christophe : je te devais bien cette dédicace, va !

J'écoute aussi tous ces gamins, aussi mouillés qu'enthousiastes sur le bord de la route. J'harangue des bretons, j'engage une ola et claque des mains. Bref, je fais du Loulou.
- Tu ne peux pas t'en empêcher, s'exclame David
- J'adore ça et j'ai besoin de cette source d'énergie !

Le Paterberg arrive rapidement après le Vieux Quaremont, comme je l'avais visionné : "virage à droite, dans la descente". Il est temps d'appliquer mes peintures de guerre.

Le corps va bien. L'esprit à l'envie ; ce besoin vital d'en découdre. J'ai des choses à me prouver sportivement. Des choses à régler psychologiquement, pour trouver la paix. Je fais du sport pour bien me sentir dans ma peau. J'ai longtemps eu du mal à comprendre comment concilier cette recherche et la douleur que l'on s'inflige. Il me manquait quelques clefs de lecture : le concept de dépolarisation de Pierre DAVID (L'Académie de la Performance) et des cookies de David GOGGINS . Il me manquait également d'avoir fait du latin ; si tenté que je puisse prétendre avoir fait du grec : Si vis pacem para bellum. Il me manquait surtout de le vivre maintenant !

Je voulais en terminer avec un complexe professionnel, qui m'a longtemps irrité. Limité. J'ai débuté ma carrière avec le titre de "chargé de mission". Je suis aujourd'hui "chargé de mission". L'allégorie cyclopédique s'y prêtant, considérez-moi donc comme un équipier, au sein du peloton. Un de ses hommes de l'ombre. On y trouve tous les profils : les capitaines et les lieutenant de route,  les poissons pilotes des sprinteurs et les porteurs d'eau ; mais aussi de sacrés suceurs de roue. Il leur suffit de se cacher et de pérorer pour faire semblant. Des mecs qui ne donnent pas un coup de pédale : qui ne s'engagent pas. Cela m'insupporte. Qu'est-ce qui distinguent les uns des autres ? Qu'est-ce qui me différencie de ces profiteurs ? Pourquoi donc n'ai-je pas été vainqueur ou leader, en me voyant confier un poste de directeur  ? Il m'a fallu du temps et des échanges avec Véronique et Michel, pour comprendre que cela n'était pas une question de capacité absolue. Les équipiers ont de sacrées cylindrées : capables de rouler fort et longtemps pour leur leader. Mais cela ne permet pas de gagner un sprint (très très fort, un bref instant) ou une étape de Montagne (très fort, un peu plus longtemps). Manager nécessite des aptitudes, que je n'ai pas intrinsèquement, comme le leadership de Quenotte. Pour autant, j'ai d'autres qualités à faire valoir. Ce n'est pas moins bien. C'est autre chose. 

Il y a bien eu cette échappée, que j'ai prise en rejoignant une start-up. Ce n'était pas la bonne. Au bout d'une année, le peloton m'a dévoré. Impassible. Il a fallu que je me batte alors pour rentrer dans les délais. Dans le reportage de Netflix sur le Tour de France, Marc MADIOT explique que "si tu perds la protection du peloton, t'es mort". Quand tu as perdu la qualité de salarié, cela peut l'être aussi ; si tu n'as pas les jambes et le bon entourage. Mention spéciale à mon Roc, ma coéquipière à vie : ma Chérie. 

Ce Paterberg représente donc, en partie, cette réflexion professionnelle. Dans un mur, personne ne peut se cacher. Plus d'opportunités ou de coups à prendre. Ca se joue à la pédale.

Dans ma vie, je n'ai jamais mis le pieds à terre : ce n'est pas maintenant que cela se produira !

Les grecs l'avaient compris : le sport est une catharsis. Depuis j'ai retrouvé une belle équipe. Toujours avec le statut d'équipier. Mais je l'assume et j'en suis fier. Je sais ce que l'équipe attend de moi. Je sais ce que j'ai à faire ; alors je le fais.


Si l'intellectualisation permettait de franchir des collines et déplacer des montagnes ; cela se saurait. Au plus fort de la pente, j'active un levier plus corporel, que j'ai récemment découvert. Mon éducation chrétienne de m'y donnait pas accès : s
'appuyer sur des déboires et des connards. Dans son best-seller Goggins évoque cette fameuse boîte à cookies. Quand il est dans le dur, il se remémore avec délectation, les situations difficiles dont il est sorti vainqueur. Ce que tu as fait, tu peux le refaire. Pour lui, une enfance pauvre, la réussite dans des épreuves d'intégration de l'armée américaine ou l'ultra-distance, dans des conditions d'adversité remarquables. On a tous (sur)vécu des moments délicats,  
exacerbant nos complexes et nos failles. Je vous livre les deux, qui me viennent à cet instant. Des railleries d'abrutis en 5ème : subir la fripe, ado, n'a pas le même impact que la choisir, adulte. Ces branleurs de DUT Tech de Co. On devait faire un show pour le gala des étudiants. Ils me lâchent. Je me retrouve avec cinq élèves moins exubérants. Il m'en manque un pour le sketch, que j'ai commencé à écrire. Je me tourne vers Stéphane, avare de prise de parole en public. Je le convaincs et le coache : il fera un carton ce soir là ! J'ai donc 3-4 têtes qui apparaissent dans cette bosse. Je les fustige. 

T'es où ?

T'es où maintenant ? Te moquer des autres t'as aidé à avoir ton bac et une belle situation professionnelle ?

T'es où maintenant ? A siroter un mojito, car tu ne sais rien faire d'autre que boire des apéros et suivre la dernière tendance. Tu n'as ni le goût, ni le caractère pour apprécié un bon whisky. Je te visualise avec une clope et débuter ton monologue par "si j'avais voulu".

T'es où ? Ce mantra que j'ai fait mien. Essayez-le : ça fait du bien.

A celui-ci s'ajoute tous ces cyclistes, que je dépasse pieds à terre, à leur image. J'exulte et m'envole. Ma vie est belle. J'ai un boulot impliquant, que je viens d'évoquer ; des amis attachants, que je ne cite pas tous ; et mes filles, que je ne louerai jamais assez.  Je veux les rendre fières. Si elle ne comprennent pas les subtilités du cyclisme, elles savent ce qu'implique de vaincre le Paterberg de cette manière. Une version actualisées de "Mon Papa n'est pas médecin, mais c'est un Ironman". 

Si vous saviez combien je vous aime.

Je franchis le Paterberg, concluant ce Tour des Flandres avec un sourire jubilatoire.  Bien au-delà d'achever ce monument, je réalise une course maîtrisée de bout en bout : enfin !

Je me réalise, tout simplement.

Je savais ce que j'avais à faire ; alors je l'ai fait.




Epilogue :

Si le Paterberg constituait l'aboutissement de ma catharsis, il ne définissait pas l'arrivée. Il restait une douzaine de kilomètres à parcourir. Je ne parviens plus à prendre la roue de David. Le cerveau, mon "gouverneur central", a pris la décision de stopper, dans ce dialogue que j'imagine
- T'as fait ce que t'avais à faire. Maintenant, je reprends le contrôle pour préserver ton intégrité physique. Tu as frôlé l'hypothermie. Tu as un déficit (calorique) que Bruno LEMAIRE n'ose envisager pour la nation. Et puis cette boisson bleue 226ers, au goût plus chimique qu'exotique : j'en peux plus. Je te l'avais déjà dit sur la GOLD. Et ne reprends pas de gel énergique, sinon je te fais vomir comme à Angers ! Bordel : j'en ai ma claque du sucre ! 
- OK, j'ai justement un sachet de cacahuète dans ma poche arrière. On a bien mérité l'apéro !

Si vous avez des doutes sur ce "gouverneur central", je vous invite à découvrir Tim Noakes, qui en fait le pilier de sa théorie de l'effort ; reprise très souvent depuis. Si vous préférez une illustration ludique de la relation entre le système nerveux autonome et le reste du corps, souvenez vous de Maestro, dans la série Voici la vie. Si vous souhaitez une démonstration plus moderne et humoristique, la voici.
Je dois donc corriger ce défaut : anticiper trop l'arrivée. Mon côté "après ça descend", dont s'amusent mes compères Graveleux. J'avais lu d'un champion du monde qu'il visualisait l'arrivée, bien après la finish line. Un point d'amélioration.

"Je n'allais pas te lâcher à cinq bornes de l'arrivée. Après tout ça".  David m'a attendu. Nous franchissons l'arrivée main dans la main. Sur la place d'Audenarde, pleine de fans et de terrasses, nous savourons une bière ensemble. Pour la petite histoire, la ligne que nous avons franchie était celle des pro, pour la télé. La notre était un peu plus loin. Notre chronométrage officiel indique donc trois quart d'heures de plus. Toujours ce défaut de finir avant l'arrivée. Mais pour une bière avec un copain ....


... si c'était à refaire, je referais.






IronLoulou






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