mardi 17 septembre 2019

La FraTri


Voilà près d'un mois que j'ai bouclé l'Ironman de Copenhague et deux semaines, que je vous l'avais promis* : « La FraTri ».




Toujours un dossard. Cette fois, sa force ne provient pas de son numéro, mais de l'équipe à laquelle il est affecté.

Avec David, Caro et Xavier - que je ne présente plus - ainsi que l'ami Sylvain, nous concourrons sur le triathlon par équipe de Caen. Nous revenons sur les lieux d'une belle aventure, datant de près de 5 ans**. A l'époque,  « je me pense [...] fini pour le triathlon ». A l'époque, je suis bien moins affûté, mais ils m'emmèneront dans ce qui restera probablement l'un de mes plus beaux souvenirs sportifs.

Aujourd'hui, j'ai envie de leur renvoyer l’ascenseur et de revivre un moment collectif, aussi intense.  Car oui ; même si cela surprendra quelques triathlètes que nous avons croisé dimanche : ce n'était pas une épreuve individuelle !


Comme vous en avez désormais l'habitude, on démarre par la natation. On s'est entraîné dans la configuration illustrée, pour être le plus efficace possible. David mène le groupe. Profitant de son aspiration, je peux protéger Sylvain et Xavier, avec Caro. Ce schéma est flatteur. D'abord, car il confirme mes progrès en natation. Ensuite, car j'y parais grand !

Au bout de 300 m, des algues me forcent à ralentir, tandis que David accélérait légèrement. Je ne panique pas et rattrape l'arrière de la formation. « Mais » (avec beaucoup de guillemets), Caro l'a avisé de mon décrochage ; lequel va se reculer pour me pousser deux fois. C'est sympa, mais je n'estimais de pas en avoir besoin. Au passage de la bouée de mi-parcours, après quelques ablutions, j'arrive à lui indiquer cela et le groupe repart. 

Je suis un temps vexé, avant d'apprécier ce geste de solidarité à sa pleine mesure. En effet, nous reprenons beaucoup de nageurs esseulés. Les autres équipes semblant adopter une stratégie du chacun pour soi, pour ne pas écrire chacun sa m ... ; s'agissant de ceux qui sont le moins à l'aise avec l'eau. M... étant assez adapté à la qualité de l'Orne, dans laquelle nous nous baignons, prenant bien soin d'éviter de boire la tasse ...

Nous en terminons en un quart d'heure. La natation ne comportait « que » 750 m, car nous sommes sur un format « sprint ».


S'en suit la transition. Nous avons convenu de nous épauler et nous le ferons ! J'aide Sylvain à se défaire de sa combinaison. Caro me jette sa serviette, avant de me rejoindre pour l'enfiler ... 

... ce satané maillot de vélo. A quoi pensiez-vous donc ? Son assistance est précieuse, car cette tenue était difficile à mettre à cause de mon torse encore humide.

Nous pouvons donc partir pour 3 boucles d'un peu plus de 7 km. Je me positionne d'entrée à l'avant pour conduire notre peloton. Je dois vous avouer que suis encore un peu désappointé. Toujours soucieux de leur rendre ce qu'ils m'ont apporté, je mettrai donc à un point d'honneur à les conduire durant tout le parcours, en tâchant de n'en décrocher aucun. On s'est entraîné deux fois ensemble, à Jumièges. Je suis conscient de leurs capacités respectives et que je dois faire fie de mon instinct ; lequel m'inciterait à me poser sur mon prolongateur et descendre d'une dent. Je suis attentif à garder le rythme le plus constant possible et écouter ce qu'ils me hèlent.  Notre cohésion semble atypique, si l'on en juge par l'éparpillement de certaines équipes. Je repense à celle qui nous a passé au début. Un des gars restait une trentaine de mètre devant une coéquipière et un de ses camarades. Je ne sais pas s'il voulait l'impressionner, mais c'est d'une stupidité remarquable. Inutile de préciser qu'on les a mangé tout cru. Passé le premier tour, David retrouve la deuxième position, convenue ; me donnant des indications précieuses sur le reste de la bande. On a des moments de franche rigolade. De son côté, Caro s'accroche. Soucieuse du groupe, elle fait les efforts nécessaires pour corriger son appréhension du peloton et recoller après chaque demi-tour ; exercice dans lequel, elle est également peu à l'aise.
A gauche : Caro ne peut laisser moins d'espace avec Xavier. En arrière-plan : les deux cyclistes sont également sensés concourir en équipe ...

On bouclera le parcours à près de 32 de moyenne, alors qu'ils appréhendaient le 30, à l'entraînement. Le contexte de la course explique cela. L'adrénaline certes ; mais probablement pas autant que l'envie de ne pas décevoir les copains.

Je descends du vélo et cours très facilement dans l'aire de transition pour l'y déposer. Cela me confirme, qu'il me restait du jus. Surtout, cela me donne du temps pour enfiler une paire de chaussette, avant d'encourager la team. Au total, on mettra près de 6 mn dans les transitions. C'est presque aussi long que sur ironman. Mais, peu importe : l'essentiel était de rester soudé.

Reste 5 kilomètres de run. Là, on ne peut plus se cacher dans les pieds d'un nageur ou les roues d'un cycliste. A nouveau, la dernière discipline du triathlon sera le révélateur de la qualité de la gestion de course. A nouveau, on y avait songé et prévu de laisser Sylvain mener le train. Avec David, on reste à côté de Xavier et Caro, au cas où ils auraient besoin d'être poussés. Mon compère est tellement à l'aise dans cet exercice, qu'il a pris deux petites bouteilles d'eau et un brumisateur, pour arroser tout le monde. Là encore, on croise des coureurs isolés ou des duos, tandis que le classement des équipe se fait par trois. On a loupé quelque chose ?

Au bout de deux kilomètres, la machine-Xavier est en route. Il est à son rythme. Aussi à l'aise que régulier.
- le corps se souvient, me lance-t-il
- De bons souvenirs du Toursman (2018) et de bonne augure pour ton jubilé (un second Ironman pour ses 50 ans en 2021) !


« Alors Sylvain, ça ne valait pas le coup de serrer les dents ? »

Je peux donc me consacrer à pousser Sylvain, même si c'est moins agréable que Caro. Question de positionnement de la main .... Mais, ne vous méprenez pas ! C'est que Sylvain étant bien plus grand, je dois maintenir mon bras plus haut : c'est plus délicat. Quant à Caro, elle accepte et surenchérit volontiers à nos blagues grivoises, sous les sourires complices de Xavier. Ça aussi, c'est l'esprit d'équipe !

Au 3ème kilomètre, Sylvain fléchit
- Je vais marcher un peu, reprendre mon souffle et repartir
- Pas question ! Il ne reste que 2 kilomètres. On y est presque. Tu me maudiras après !

En réalité, il devrait réagir : « c'est l'hôpital qui se moque de la charité ! ». Il sait comment j'ai terminé mon marathon à Copenhague. Et il s'accroche. Il donnera vraiment tout.




On termine tous les cinq, main dans la main.

Je devrais écrire que le résultat importe peu, tellement j'ai pris de plaisir sur ce triathlon. Mais ce serait oublier l'esprit d'équipe. Que chacun s'est investi pour aboutir à un résultat collectif très honorable. 1:31:55. 62ème au général, derrière des clubs qui se tiraient la bourre. 15ème équipe mixte sur 30. 5ème dans la catégorie vétéran.

Ne me félicitez pas. Mais félicitez les, particulièrement Caro et Sylvain, qui se sont accrochés pour nous permettre de finir tous ensemble, avec ce chrono et ce sourire.

Ne me félicitez pas. Mais enviez-nous ! Enviez-nous d'avoir trouvé ce super prétexte pour faire une belle virée, ensemble. Et il y en aura d'autres ...




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* C'était en [4] des nombreuses notes de bas de page de mon récit
** J'en parle au milieu de ce billet ; entre Fred, David et Martin : décidément « je n’ai toujours pas compris pourquoi le triathlon était classé comme un sport individuel.»

lundi 2 septembre 2019

Ironman de Copenhague : le second, mais le début d'autre chose ...


2004 : avec un tel dossard et vous, à mes côtés, j’étais certain d’atteindre mes objectifs !

Il y a des croyances comme ça. Inexplicables ; mais tellement réconfortantes. Ces moments, où vous vous sentez indestructibles. Ces journées, où vous savez que tout ira bien. It’s feeling.

2004, c’est l’année de naissance de Victoire. Et c’est le numéro qui m’avait été attribué pour l’Ironman de Copenhague 2019. Il y a des signes du destin comme ça …

Comme toute croyance, celle-ci repose autant sur des faits réels que des sensations et des intuitions, que je m’en vais vous conter.


Des chiffres et des limites …

D’abord des chiffres. Pour en arriver là, j’ai parcouru près de 166 kilomètres en nageant, 900 en courant et 3 600 à vélo, depuis le début de l’année. Ce, sans compter les séances de home-trainer avec mes copines du Global Cycling Network. A cela s’ajoutait, 2 séances hebdomadaires de renforcement musculaire. Beaucoup en hiver ; moins, lorsque les semaines d’entraînement s’allongeaient. Régulièrement plus de 13 heures depuis mai ; pour atteindre 16-19 heures sur le dernier mois.

Repousser les limites de son corps n’est pas un vœu. C’est une réelle possibilité, offerte à chacun. Pourvu de le réaliser avec régularité et progressivité.

Croyez-moi, j’étais bien loin de ça en bouclant mon premier 10 kilomètre. C’était probablement inimaginable pour mon institutrice de Maternelle et ceux qui ont rencontré, ce « bouboule », que j’étais.

«  Ne pas sauter à pieds joints à cinq ans, n’empêche pas de faire son premier marathon à 27. Et que les doués en sport de sa jeunesse, ces quaterbacks du lycée, il arrive qu’on les précède sur certaines course ! (…) Les témoignages, de professionnels comme d’amateurs, expliquent que le sport leur a permis de découvrir leurs limites, pour mieux les dépasser. Cela est d’autant plus vrai que cela surpasse la dimension sportive du pratiquant. Les « limites », c’est la représentation de soi, physiologique mais aussi psychologique voir, psychanalytique. »

Je vous renvoie à ce billet ; dont bien des propos résonnent encore. Comme sa musique, que je dédie à Bertrand. Patience, il y en aura une autre … 

Pour moi, l'Ironman est un chemin fabuleux pour explorer mes limites. Comme tous, j'en avais et j'en ai encore. Mais elles explosent, à mesure que je me prends à mon propre jeu.

Is it gonna get easier than tryin' to break these chains around my heart
Oh oh
Does it ever get easier, without you I can't pull these chains apart
Oh oh
[These chains - TOTO]


Et puis, on se prend au jeu

J’ai toujours aimé et fait un peu de sport. Mais il y avait beaucoup de mecs devant. Guy et Denis pourront vous rétorquer que j’avais une place de libéro-titulaire dans l'équipe de foot du village … et vous préciser qu’on jouait plus souvent à 8 qu’à 11 ! Plaisanterie mise à part, ma note au bac (13/20) et ma « VO2max » [1] me situent vraiment dans le commun des mortels. Alors, je m’étais fait à cette idée que « je ferai toujours du sport avec du plaisir et les copains, mais jamais rien de grand ».

Et puis, on se prend au jeu. On fait un sport en semaine, en plus du footing du week-end. Je souris en repensant à nos parties de badminton avec Céline et Arnaud ; puis avec Alain et Mylène. Toujours avec ma partenaire préférée, bien entendu ! Là, j’avais déjà moins de mal à accélérer lors des match de foot improvisés à la suite des barbecues et des bières …

Et puis, on se prend au jeu. Dans sa Chrysler LeBaron, Pierre nous conduit de la mairie à la salle réception de notre mariage. Il me parle de marathon.
- Faut du temps et être très fort. Peut-être plus tard.
- Pourquoi attendre ?
Sa question me laisse sans voix. Un an après, je franchirai ma première Finish Line.

Et puis, on se prend au jeu. Ben, mon ami Ben, nous propose de participer au format découverte du triathlon de Bois Guillaume. Pour la course à pieds, ça ira. Le vélo aussi ; d'autant qu'il me prêtera son destrier, avant que celui-ci ne devienne mien. Je vous écris cela avec cette nostalgie, que je vous partageais dernièrement. Le vrai challenge restait la partie natatoire. 300 m : c'était énorme pour moi. Des vidéos, si elles n'ont pas (heureusement) disparu, vous l'illustreraient trop parfaitement. On se tirera la bourre avec les copains. Willy arrivera devant. Je suis positivement vexé. Je me préparerai pour prendre une revanche indiscutable, l'année suivante.

Et puis, on se prend au jeu. Ben a déménagé et nous invite à le rejoindre pour participer à un triathlon local. Je suis enthousiaste à cette idée ; plus mesuré, en appréhendant l'ampleur de l'épreuve. Ce sera mon premier longue distance ; en moyenne montagne de surcroît. J'aurai donc 6 mois pour manger du dénivelé, en écumant les bosses près de chez moi, et prendre des cours de natation avec JC. Car là, 3 000 mètres m'attendent. Au final, j'ai pris un énorme plaisir à faire cette course ; qui m'a définitivement lié au long. Bien au-delà de l'épreuve, le chemin et les copains pour y arriver. Je ne vous mets pas de lien, ni de note de base de page, pour illustrer cette affirmation : mon blog en est plein !

Et puis, on se prend au jeu. La période 2014-2017 a été compliquée professionnellement. J'avais des démons à chasser et un copain à retrouver : toujours Ben. L'Ironman de Vichy en serait le socle commun. A la clé : 13 heures et des émotions à l'infini. C'était tellement puissant qu'un seul article ne m'a pas suffi. Il fallait reparler de la communion avec les bénévoles ; de ce premier réveil avec Quenotte et de l'amitié, si singulière et indéfectible, qui en émergea. Sans compter le démarrage de cette relation entre Vanessa et un autre Fred : BipBip. Ils ne se connaissaient pas avant d'échanger par SMS , tandis qu'elle m'encourageait à Vichy et lui, me suivait à distance ...

Et puis, on se prend au jeu, de ces sensations d'évolution.

Et puis, on se prend au jeu en se lançant dans ce deuxième Ironman.  Dès janvier, je sais où et avec qui je vais jouer ; mais je ne sais pas encore quel sera mon objectif. Je suis un peu comme en début de manche au "Roi des Nains" : la tuile de quête n'a pas encore été soulevée ... 


Mon Fred, ce héros

Fred, que j'évoquais à l'instant, sera mon sparing partner pour cet Ironman. Une personnalité, que je respecte autant pour ses performances, que pour ses réflexions. J'ai glissé un lien vers un de ses billets, à la fin de mon deuxième paragraphe et ne peux m’empêcher d'y ajouter, celui comparant le triathlète à Sisyphe. Un régal !

Un athlète engagé, si on s'en réfère à ce simple exemple. 17h : il rentre du taf et discute avec moi par tel, tout en se préparant. 17h10 : il part faire 2h30 de vélo. 20h30 : après avoir dîné en famille, il s'empresse de terminer la cabane de son fils. Pas une minute de perdue. Du temps consacré "équitablement" au triathlon et à sa famille.  Parmi tous les conseils sportif, qu'il m'a donnés, je retiens celui d'inclure ma famille dans mes projets d'ironman. Plus qu'un athlète engagé, un homme exemplaire.

Fred, c'est surtout un type bien. Quelle joie de le retrouver avec sa petite famille, après cette belle sortie ; il y a près de deux ans. J’allais écrire « en chair et en os », mais son contexte d’avant-course ne s’y prête pas vraiment. Victime d’une coupure au pouce à J-7, je le retrouverai avec six points de suture. Avouez qu’il y a mieux à l’approche de la course.

Je vous renvoie une dernière fois, promis, un lien vers son blog. Il raconte cela et sa course. Jusqu'au bout, il va se préparer « comme [s'il allait] faire la course dimanche ». Plus d'un aurait simplement lâché, dès l'arrivée aux urgences et même le samedi après-midi ; voyant que la plaie suintait encore. Lisez son récit. Exemplaire, je vous le dis ! 

Plus d'un se serait réfugié dans sa caverne, mais il n'en fut rien. Après avoir été cherché les dossards ensemble le vendredi, nous nous sommes retrouvés avec nos familles, pour une première pasta party. J'étais heureux de voir que le courant passait super bien entre nos épouses et que nos enfants ne cohabitaient pas trop mal. Il faut dire qu'à 12 et 15 ans, mes filles peuvent se montrer sauvages à l'égard de la gent masculine. 


Tout ironman qu'on soit, on n'est jamais rien sans eux !

Et que dire de l'accueil d'Oksana ? De sa manière de distiller des ingrédients magiques dans ses pâtes et son gâteau sport ; les rendant aussi savoureux que nourrissants ? Désolé Caro, je t'ai honteusement et goulûment fait des infidélités sur ce coup là.

Pour en revenir à mes propos introductifs et retrouver (enfin !) leur orientation : tout cela, ce sont de bonnes sensations, qui en donnent !



C'est bien beau les sensations. Mais y a-t-il des faits, bien réels, pour nourrir ma croyance

Oui, revenons à du concret. L'organisation du déplacement.

« L’intendance suivra » formulait le Général De Gaulle [2]. Il ne croyait pas si bien dire. Cela vaut évidemment pour le corps, qui s'adapte aux charges de travail, qu'on lui impose intelligemment. Ainsi, mes capacités physiques se sont véritablement renforcées, sans recours à une piqûre d’araignée radioactive, ni d’aucune sorte ; hormis celles de maudites tiques. Mais l’intendance, c’est surtout celle de ma chérie. Quand la maison tourne, c’est tout de même plus facile de faire tourner les jambes et son moteur. Et puis, elle nous a préparé Danemark, qui s'avérera inoubliable !


Point de flagornerie, ni de circonvolutions inopérantes ici. La sérénité est une des clés de la performance. Je n’en serai pas là sans Elle. 

Si je l'évoque moins que mes entraînements, il faut surtout y voir l'application d'une Loi, puisqu'on évoque toujours le lien avec la croyance. La Loi de Pareto [3], indiquant que (moins de) 20% de  mon récit correspond à  (bien plus) de 80% de sa force. Coach BipBip m'a bien cerné : « tu marches aux sentiments et à l'affectif ».

Pour reprendre l'expression de Quenotte : lors d'une prépa Ironman, les livrets de famille peuvent voler. Au contraire, le mien s'enracine plus encore.

Autre aspect du déplacement. Celui-là, on ne sait jamais s'il va basculer de l'intuition au réel : la météo ! Je me suis entraîné sous la canicule, mais le temps se gâte 15 jours avant la course. Je me connecte quotidiennement sur différents sites, espérant qu'un  jour ou un prévisionniste me soit favorable. Peine perdue. Un gros vent est systématiquement annoncé et sera renforcé aux abords de la Mer Baltique. Je repense aux propos de Ben, qui a vécu un temps au Danemark :  « quand ça souffle ; ça souffle ». Je repense à ma dernière sortie et mon vélo, qui chasse deux fois, sous l'effet de rafales : la balance avantage (vitesse) / inconvénient (confort) des roues aéros peut se déséquilibrer dans de telles conditions. Je repense au dernier chrono de Romain Bardet qui semble se battre avec une roue lenticulaire, plus lourde que lui. Je me persuade alors : « ne prend les roues aéros que si tu es parfaitement serein sur 180 km ! ». Si vous ne l'avez pas perçu sur la photo précédente, vous l'aurez donc compris : je prendrai mes roues d'entraînement. Elles sont bien plus maniables et confortables. Ça, c'est du matos : donc du concret pour ma croyance !


Ma croyance et ses icônes

Pour croire, il faut des textes. Et Dieux que vos encouragements d'avant-course sont importants et énergisants ! Je scrute souvent mes SMS, Whats'app et Facebook, car j'ai besoin de ces ondes positives ... à moins que ce ne soit que par pur égocentrisme. C'est, sans doute, un peu des deux à la fois. A Vichy, je m'étais demandé si Marc Zuckerberg n'avait pas inventé l'Ironman pour nous rendre accroc à son réseau socialToutes ces pensées sont différentes, mais tellement personnalisées. 

Il y en a une, que j'attends avec plus d'impatience que les fans de Games Of Thrones, son dernier épisode. Et, je suis certain qu'elle ne me decevra pas ; elle ! Les aléas de la connection à l'étranger m'imposeront de m'y reprendre à trois fois, faisant encore plus monter mon désir et mon impatience à son égard. Une de ces images que j'aurai en tête, davantage encore que celle de la Finish Line. 


Ainsi se forge la légende des PAPE ! Ces sourires et le petit mot qui résume tout ; avec humour pour ne rien gâcher. 

On se connait bien et on a déjeuné ensemble le dimanche, précédent l'échéance. Les triathlètes aguerris parlent souvent de bouffer des séances clefs à J-10 et J-4. J'y ajoute l'idée de bouffer, au sens propre, avec des amis à J-7 !

Depuis Vichy, ils ont ajouté  « Perf ». Il savent que j'ai soulevé ma tuile de quête, en juillet : « Sub 12 ».

Elle représente beaucoup pour moi. Finir un Ironman était génial. Mais je n'avais aucun doute là-dessus. Car je (me) suis calibré pour le long. Dès que le vélo est posé, je sais que j'irai ou bout. « Je suis un dévoreur de finish lines, comme Galactus est un dévoreur de planètes ». Mais « Sub 12 » symbolise autre chose. Passer sous les 12 heures, c'est rejoindre un cercle encore plus fermé que celui des finishers. Cela signifie nager propre à la piscine (passer en moins d'une minute aux 50 mètres), rouler à près de 30 kilomètres heure (essayer de faire ça dimanche prochain !), avant le marathon. Le marathon : « juge de paix » ou « monstre » de l'Ironman ... Le chrono, que je vais réaliser, me dissuade néanmoins de vous donner une allure de course, aussi affirmative que les précédentes ... Toujours est-il que, faire un « Sub 12 » ; ce n'est pas rien. 

« Depuis toujours, je fais du sport avec plaisir et les copains. Mais cette fois, je peux faire quelque chose de grand, à mon niveau. » . 

Je le crois.

Cela m'obsède.

J'éprouve le besoin de formaliser un mapping. Cela confirmera à ceux qui me qualifient gentillement de « sacré cérébral », qu'ils ont sans doute raison. Cette feuille, finalisée à 9h du départ, me permet structurer ma pensée, nourrie de quelques-un de vos mots. Ecrire que « j'ai besoin de ces ondes positives » est véritablement sincère.


Dernière image, et non des moindres : j'ai le dossard 2004 !


La croyance à l'épreuve des faits

On y est enfin ! Moi, sur le site ; et vous, au bout des ces longs propos introductifs.

Il est 5h15. L'heure du rdv avec BipBip. Enfin, 5h18, le temps des bises énergisantes à mes chéries et de faire un ultime passage à mon « 2ème bureau » ; moins efficace, celui-là. La pression monte. Je pensais l'avoir bien géré jusqu'alors, même si l’œil avisé de Fred aura décelé quelques marques d'appréhension lors de nos longs (et agréables) échanges des jours précédents. Je joue son deuxième assistant dans le parc ; l'aidant dans les tâches, rendues difficiles par sa blessure au pouce. Le premier, c'est Dimitri. Il prendra la pompe à la sortie du parc à vélo, renseignera son père sur ses temps de passage et m'encouragera avec enthousiasme. Deux années et deux générations le séparent de Jean-Charles, à Vichy ; mais l'importance reste la même. Aider Fred à préparer son vélo et faire son pansement était un bon moyen pour prolonger le partage ; même si on aurait préféré l'éviter. Je fais le plein d'expérience et de motivation, avant de réussir à vider ce qui doit l'être ...

A 7h10, me voici dans mon sas de départ. J'ai le temps de songer que je suis privilégié d'être ici, en bonne santé. La cicatrice de mon sparing partner m'invite à cette idée ; mais pas autant que la deuxième chimio, que vient de subir mon père. Je pense aussi à mon petit frère. Je me suis promis de ne pas pleurer avant l'arrivée ; alors je reprends ma routine d'avant course, composée de quelques exercices de relaxation et d'échauffement.

Je me jette à l'eau, certain de la stratégie discutée avec Fred et Dimitri : viser directement les bouées à l'extérieur droit après les ponts pour aller au plus court. Je crois avoir bien réussi mais ... Allez, je vous laisse jouer au jeu des 7 erreurs, si vous avez le temps. Et si vous êtes joueurs, deviner combien de mètre j'ai fait en plus !

Près de 200 mètres de trop. Mais, ce qui est génial, c'est que je n'en sais rien à ce moment là. Éloigné de la meute, je nage seul, facile et persuadé d'être dans le vrai. Je serai très content de sortir de l'eau en 1h15 contre 1h30 à Vichy ; sans avoir été traversé par le doute ou la lassitude. Et ce qui est génial, c'est que j'ai un point d'amélioration et quatre minutes, "faciles" à gagner, pour le prochain Ironman !



La transition est également plus rapide, car j'ai bien repéré l'emplacement de mon sac et le chemin à parcourir pour rejoindre mon vélo. Fred a bien fait d'insister pour qu'on le fasse ensemble.

Seul bémol : le temps à passer à enfiler mes manchons. Mais j'assume ce choix : priorité au confort, comme me l'a conseillé David.  Il y a 180 kilomètres à parcourir avec du vent et, probablement de la pluie. Peut-être aussi qu'inconsciemment, je temporise afin d'être certain de voir mes chéries, car j'ai plus de 10 minutes d'avance par rapport à l'horaire annoncé. Elles se sont levées aux aurores pour me voir sur le début du vélo et démarrer leur longue journée de supportrice. 

Elles sont là, à l'endroit prévu. Quel coup de booster ! Mais je me suis promis de ne pas pleurer avant l'arrivée ; alors, je me concentre.

La sortie de Copenhague confirme que les danois sont les pros du rallye. Comprenez que nous devons franchir quelques trottoirs. Exercice plus adapté à des vélo de ville et des VTT qu'à nos spads. Mais après cela, c'est magnifique. Un parcours comme je les aime : on longe la Mer Baltique avant de rentrer dans les terres, avec des petites bosses, et d'envoyer les watts sur la troisième partie de la boucle.

Sur le premier tour, je suis dans un gros paquet de cyclistes. Difficile d'éviter de prendre l'aspiration des concurrents, qui me précédent ou me doublent. En passant la borne du 110 ème kilomètre, j'observe mon chrono indiquant 3 heures. « C'est incroyable ! ». Il ne doit pas être loin de midi. Je sais que c'est le moment pendant lequel beaucoup d'entre vous regarderont l'application de tracking de l'organisation ou le reportage de Vanessa. C'est grisant d'anticiper vos réactions, car je réalise alors "un gros vélo".
« Tu voulais que je te fasses rêver, ma Quenotte : et bien, tu vas être servi ! »
- « C'est qui l'patron ? »

Can't slow down succède à mes classiques Summer Song et Friends, dans ma playlist de Satriani

C'est grisant d'anticiper vos réactions ; et c'est tellement touchant de se les entendre confirmer, depuis mon retour. De savoir que vous étiez bien là. Il y a des évidences touchantes, comme Olivier, Hélène, Arnaud, Séb, Anne, Manu, Fabrice, Nicolas, etc. Bref tous ceux qui m'ont encouragé sur Facebook et ailleurs. Difficile de citer tout le monde ; mais, tout de même, cette énorme surprise. Jean-Charles, à fonds, tandis qu'il était avec Quenotte mariage de son cousin. Dire que je m'étais promis de ne pas pleurer ...



Au deuxième tour, la course devient moins dense et je peux respecter le règlement sur le drafting. Mes roues d'entraînement se montrent alors bien plus limitées que mes aéros. Mais peu importe. Je reste confort et m'efforce de ne pas me mettre dans le rouge. L'objectif est désormais de démarrer la course à pieds au bout de 7 heures au total  : natation + transition 1 + vélo + transition 2. C'était les bases de Quenotte à Vichy, qui m'avait astucieusement « souhaité de [l']'ennerver ». Il doit  joyeusement bouillir. Mais, je me suis promis de ne pas pleurer avant l'arrivée.

Je dépose le vélo euphorique, dans le timing prévu, sans avoir eu à gérer des fourmis dans les jambes ou le mal de dos. Peut-être est-ce lié au choix de roues ? Sans doute, également, car j'étais prêt. Non, pour reprendre la rhétorique de ce billet, je ne me croyais pas prêt. Je me savais prêt. J'avais fait le job. Caro, Xavier et David, avec qui je partageais encore un training ce samedi [4], me confirmaient l'état de sérénité, dans lequel ils m'avaient senti avant mon départ.


Las, le marathon Ironman ne faillit pas à ses réputations de « juge de paix », ni de « monstre ». J'étais pourtant bien parti, mais la boisson de l'organisation était surdosée et m'a provoqué des ballonements.


Je vogue de Charybde en Scylla [5]. Clairement, j'alterne les prises de ravitaillement, qui me ralentissent à cause des maux de ventre, et des impasses, générant un manque d'énergie. Fred me confirmera le surdosage et m'expliquera comment il l'a géré. Merci pour le retour d'expérience et ce point d'amélioration !



En attendant, je n'en mène pas large. J'ai quelques regains en apercevant mes chéries et sa famille. Je lui lancerai un « Stand Up ! », la seule fois où je le croiserai. Je ne pouvais claquer dans sa main, abîmée ; ni m'empêcher de faire référence à cette chanson, qu'il venait de me faire découvrir. Le partage de musique avec un Fred, c'est une habitude chez moi ... Tiens Bertrand, voici le morceau que je te promettais !

Je dois marcher de plus en plus souvent sur ce marathon, rendu difficile par ses multiples relances et la pluie.

Au dernier passage, Victoire court quelques instants avec moi. Je lui promets de lui rapporter le T-shirt de Finisher. Elle me renvoie tous les encouragements qu'un coureur espère ; et l'affection qu'un père attend ...

Pour la petite et la grande histoire, j'ai cette idée depuis longtemps. Je sais qu'elle aime bien m'emprunter mes cadeaux de course ; comme elle s'est appropriée le sweet de la Triskel Race. Malheureusement, l'organisation me fournira une taille trop petite pour elle. Alors, Fred lui donnera le sien. Un super mec, je vous dis !

Le temps et la pluie  s'égrènent. La marque de 11h30 s'échappe, même si je n'y avais jamais songé auparavant. J'essaie de relancer pour atteindre celle des 11h45, mais mon esprit et mes jambes se dérobent. Ce soir, le théorème de Martin est contredit. Les deux derniers kilomètres me semblent interminables. « Nous »  semblent interminables, dois-je écrire. Car, il y a des touches F5 bien usées sur les PC et des marques verticales de doigt sur les smartsphones, de tous ceux qui se sont inquiétés : « Bordel de merde ! Qu'est-ce que tu as foutu à la fin ? Ça n'avançait plus sur le tracker : c'était interminable ! », m'interrogeraient vous.  J'ai marché, y compris dans les derniers hectomètres. Voilà : tu as beau avoir tous les leviers mentaux possibles, quand tu n'as plus de jus, tu n'as plus de jus. C'est un fait.

« A' plu' pile Papa » .

 « Je ne suis plus le patron » 

« Je ne sais pas quand ça va se terminer, mais je vais le terminer ».

...

Puis, soudain, la foule. Le speaker. C'était mon dernier tour. J'ai le droit de prendre la direction de l'arche d'arrivée. Mes chéries à la Team BipBip sont là. Les deux mains sur la tête, je suis « out of space », comme il l'écrira.

Le chrono indique 11h46. Tout ce qu'il représente se bouscule alors dans mon esprit abasourdi. C'est 1h15 de gagnée par rapport à Vichy, malgré le marathon. C'est aussi, et surtout, la preuve que j'ai fait quelque chose de grand, à mon niveau ; que je peux croire ... en mes capacités pour le triathlon.



Fred s'empresse de me rejoindre dans le parc. On échange sur nos courses. Malgré sa main et ses conséquences sur la natation comme les transitions, il bat son record et approche des 10 heures. Énorme ! « J'étais certain qu'on la passerai tous les deux cette Finish Line l'Ami ! »

On rejoint nos supporters, qui ont passé une grande partie de la journée sous la pluie. Sacrée perf' aussi ! Mes filles se jettent sur moi et m'enlacent . 


Merci pour ce superbe cliché et les autres, Oksana !




Elles me demandent comment je me sens.




2004 : avec un tel dossard et vous, à mes côtés, j’étais certain d’atteindre mes objectifs !









[1] C’était la minute « jargon sportif ». Rassurez-vous, il n’y en aura pas d’autre.
[2] C’était la minute culturelle de ce récit. Rassurez-vous, il n’y en aura pas d’autre.
[3] C’était la minute économique de ce récit. Rassurez-vous, il n’y en aura pas d’autre.
[4] C’était la minute « FraTri » : vous en saurez bientôt plus ...
[5] Oups : j'ai menti sur le [2] !