vendredi 3 septembre 2021

Gelreman 2021 : ma dernière œuvre


Le format Ironman® n’a pas failli à sa réputation de course la plus difficile du monde. Oh, non ! Il y a bien des épreuves mettant le corps à plus rude épreuve. Et je pouvais profiter d’une balade et d’une bière locale, dans les rues piétonnes d’Arnhem, dès le lendemain. Si elle est si ardue, c’est qu’en une seule journée, elle peut ruiner les efforts consentis sur cinq cents. La durée de l’effort est aussi impitoyable que les aléas, nombreux. Beaucoup d’amateurs et de professionnels échouent dans la quête du chrono visé. Les défaillances sont légion. En réalisant 12h02, alors que je m’étais préparé pour faire moins de 11, je n’ai pas échappé à cette froide sentence. Pour autant, il y a eu cinq cents jours avant et il y en aura après.

 

En fait, tout se passe comme si l’œuvre de l’artiste était mise à nue sur un seul instant.

 

Flashback musical. Novembre1995. Les Blacks Design jouent à All Music. J’ai eu bien plus de mal à convaincre Olivier d’intégrer Broken is my heart à notre set-up, que le gérant de ce magasin, bien connu des havrais. Il craignait que cela ne fasse trop de chansons lentes. C’est qu’on était des vrais hardos, dont le style n’avait rien à envier à celui de Douceur de vivre.  

Broken is my heart est la première chanson, que j’ai composée. François avait corrigé quelques tournures de mon anglais et prendrait la batterie, ainsi que les cœurs. Fred avait pris le temps de trouver un accompagnement guitare et un solo efficaces. Après notre âpre négociation, Olivier avait obtenu le fait de pouvoir jouer et chanter sur Polly, de Nirvana. Je vous assure : c’était tendu entre nous à ce moment-là. Ce qui ne l’empêcha pas d’être témoin à mon mariage. Bref, le public arrivait et trac avec. La prestation serait-elle à la hauteur de mes espérances ; du temps que j’avais passé à écrire et de l’émotion que je voulais transmettre ?

 

La comparaison avec l’art commence ici. Les points communs sont nombreux, comme je l’ai récemment réalisé, en découvrant le nouveau projet de peinture de Virginie. 

 

D’abord, l’attirance pour la discipline. Plus on découvre les célébrités – quelles concernent des personnes ou des œuvres –   plus on a envie d’en savoir plus. Puis ce sont les premiers essais. Souvenez-vous : ces esquisses perfectibles sur un cahier, le touché de votre pinceau ou de votre pastel sur le Canson®, votre voix étranglée sur cette tirade de théâtre, ce coup de baguette sur une caisse claire, ces accords de guitare tremblants et ce fameux D-G-F ! Pour ceux que cela intéresse, et ne pas perdre les autres, je vous renvoie à mon récit sur l’Ironman de Copenhague, retraçant une partie de cela : http://ironhead-ed.blogspot.com/2019/09/ironman-de-copenhague-le-second-mais-le.html.

 

Passé ce premier contact, il faut acquérir une certaine technique pour évoluer et se faire plaisir. Maîtriser le mélange des couleurs et la tenue de son instrument, placer sa respiration, garder le tempo et gagner en dextérité. Ensuite, l’effort : répéter inlassablement ces gestes, cette gamme pentatonique, cette rythmique. Passer de l’euphorie de l'acquisition ou de la découverte d’un nouveau support, au découragement. C’est inévitable. Il y a toujours ce moment, où l’on plafonne. Il faut s’accrocher. Au démarrage, on pensait sa courbe d’apprentissage exponentielle, avant de l’envisager comme asymptotique. Tiens un souvenir de maths du lycée et pas de philo …. Mais patience : il arrivera !


Bref, en réalité, on progresse plutôt par palier et cela n’est pas toujours facile à gérer. Mais on s’accroche et cela devient un besoin. Chacun y retrouve ce dont il a envie : un subtil dosage de sérénité, d’introspection, de partage et d’accomplissement. Il faut bien de la patience à sa compagne ou son conjoint ! Accepter ces moments d’isolement et d’égocentrisme. Et Dieu sait combien je le suis, à l’approche de l’échéance. Ma chérie : <3 MERCI ! <3 « C’est comme le paracétamol, je ne sais pas pourquoi cela te fait du bien ; mais c’est ainsi ». Car -pardon pour la digression à l’attention des antivax – cette molécule ne passerait pas l’autorisation de mise sur le marché aujourd’hui, dans la mesure où aucun pharmacien n’est capable d’en expliquer le fonctionnement. A l’inverse de l’acide acitila… l’acide acétilu … l’acideacitalé …. de l’autre médicament

 

Il y a toujours un moment de préparation avant de démarrer une nouvelle œuvre. La pose de sa toile, les babeubibobus des acteurs et la balance avant un concert. Ah ! Cette balance à Thérouldeville; des DECIBEL, pour le coup ! Pendant 20 minutes, le régisseur du jour découvre les commandes et oubliera totalement les réglages convenus, ensuite. De la maîtrise de cette étape dépend, en effet, une grande partie de la suite. Un texte éraillé ne rendra pas service à son auteur. Une super musique, avec une mauvaise sono, ne sera pas plus appréciée. Je n'ai pas échappé à cela.


Avouons-le : je ne suis pas heureux de ma phase d'affûtage. Je ne m'étendrai pas là-dessus, car j'en entends déjà me dire "Mais non, c'est super de boucler un Ironman® !". Or, l'acteur sait sur quel sonnet il a butté, tandis que les musiciens débrieferont de leurs points d'amélioration, après avoir reçu quelques félicitations. Oui, au début Olivier jouait trop fort et il m'arrivait d'accélérer. Les copains trouvaient ça génial. Mais les artistes pointent les défauts de leur œuvre et les connaissent. Ils sont en quête d'amélioration. Ce sentiment indispensable à la notion de plaisir, dans l'art comme dans le sport.


Flashback musical. Pendant notre balance et que Fred comme François tentaient de convaincre Olivier de jouer un chouille moins fort, je teste un nouveau son sur le synthé. Son qui ne s'avéra pas le meilleur des choix. Satanée phase de préparation !


Ces propos liminaires posés, place au concert .... à la course !

Il est 6h, quand j'arrive dans le parc à vélo, serein et à l'heure. Faire une compétition seul, permet d'adapter son emploi du temps à sa digestion (...). Je ne suis plus impressionné par les autres concurrents et leur vélo. Le Gelreman est une organisation bien plus modeste que le prestigieux Ironman®. Nous serons moins de 200, là ou ce label peut en compter 5 000 . Cela me permet aussi de ne pas subir le "poids" de l'événement. J'ai scrupuleusement repéré mon emplacement. J'engage la conversation en anglais (si, si !) avec Jörg. Il aura cette gentillesse, parmi tant d'autres, de me prendre en photo. Je sais ce que j'ai à faire et me prépare méticuleusement à la suite.


7h00 : la sirène libératrice ! Celle attendue depuis si longtemps. Aucun groupe ne se dessine vraiment. Ne pouvant donc pas compter sur des pieds pour avancer plus vite, je me concentre sur l'orientation. Les séances à Jumièges m'ont été bénéfiques. J'ai le sentiment de prendre les bons caps et, surtout, les garder. Sur les 3,8 kilomètres d'un Ironman, le calcul est rapide : il vaut mieux nager 2 secondes moins vite aux 100 mètres qu'en faire 200 de plus.







Je sors en 1h17. La natation a été à peine plus lente qu'à Copenhague et je compte bien compenser cela, par une transition éclair. FOCUS ! Tout s'enchaîne comme je l'ai préparé et tant de fois visualisé. J'ai pris ma revanche sur la combinaison, Gaylord ! 2 minutes 45 ; là où j'en ai mis 7 à Copenhague : le rapport coût / efficacité sur cette discipline était bien plus favorable qu'en natation !


Je démarre donc confiant sur cette partie tant attendue : le vélo. Les progrès que j'ai fait cette année laissent augurer un bon chrono. Je découvre avec émerveillement les lagunes ... et avec un peu moins d'enthousiasme le dutch wind qui y sévit ! Je constate très vite qu'il sera difficile de réaliser la moyenne nécessaire à espérer accrocher le Sub11.

"Peu importe le chrono final : en m'entraînant pour Sub 11, j'ai déjà gagné !"

Cette affirmation m'accompagne et me permet de ne pas lâcher maintenant. Ni voyez là, aucune justification a posteriori. Je l'avais déjà énoncé à ceux que j'ai croisés avant mon départ. Car, oui. Viser Sub 11 m'a débloqué. Cela faisait partie de la version IronLoulou 2.0, maintes fois décrite sur ce blog.


Il y a quatre tours. Je prends vraiment plaisir sur le premier. Nous roulons en grande partie sur des pistes cyclables.

- Comment ? Tu n'as pas eu peur de crever, de devoir t'arrêter à chaque intersection ou lorsque des camions y étaient arrêtés

- Du calme, on est en Hollande ; dans un de ces pays nordiques avec de véritables pistes cyclables et pas seulement des prétextes à des inaugurations ....


Place à la concentration sur le deuxième tour, au moyen de ma playlist intérieure. Qu'est-ce qui me ferait du bien, face à ce vent ? Une évidence : Wild in the wind ! Bon Jovi est incontournable en compétition. Je souris à chaque rafale en lui répondant donc "Wild in the Wind". Mais cela se complique au milieu du 3ème tour. Les hollandais sont économes en bitume. Nous roulons sur des routes étroites réservant, certes, de la place pour les cyclistes sur les côtés ; mais laissant de l'espace pour une seule voiture en leur centre. Je me retrouve donc bloqué lorsque l'une d'entre elle s'arrête pour tourner à gauche, en attendant de laisser passer la file de motards, lui faisant face. De même, le partage devient moins évident lorsque nous entrons dans Arnhem et nous faufilons entre les promeneurs. En en dépassant un, je loupe un changement de direction. Après le vent, ces deux aléas scellent définitivement le sort de la perf' espérée à vélo. Le dutch wind se fait plus fort au quatrième tour. Je ne m'attendais pas à ce que ce soit aussi dur, aussi vite. Je m'efforce de temporiser dans la perspective du marathon. Peut-être trop, au regard de l'effondrement de ma vitesse ; peut-être trop tard, au vu de la suite ....


En déposant le vélo, je cours avec des semelles de plomb. Non, pas ces semelles en carbone qui permettent de vendre des chaussures à 400$ pour (espérer) gagner 40 secondes sur marathon ! La douleur à la voute plantaire signifie que j'ai mis trop de braquet en vélo. Les images de ma journaliste de charme parlent d'elles-mêmes. Je m'empresse de la rassurer, et tous les copains qui suivent son reportage "trop de vent pour une perf' ; mais j'suis bien". Je sais pourtant que le marathon promet d'être compliqué.


Là encore, le premier tour se passe bien. Je me suis efforcé de courir relâché, ne cédant pas à l'euphorie.

J'aurai une pensée, souvent programmée, pour des proches à chaque tour. Car, c'est ainsi : l'artiste a besoin et se nourrit de son public.

Je prends le premier élastique en pensant à mes frères et à ma sœur. Cette année, je leur ai spécifiquement explicité que c'était important pour moi, de savoir qu'ils allaient me suivre. Pour sa première, Sam est au taquet ! Je me régalerai de tous les commentaires et vidéos, qu'il a postés depuis le début de la course.  C'est ainsi. Je vous sais là. Et je savoure vraiment la soirée, que je passe à découvrir les marques d'attention de chacun. J'aurai un échange sympa avec Rébecca après le dîner. Mon Petit Frère est fidèle à lui même. C'est mon fan de la première heure ; de la musique au triathlon.

La pensée suivante va naturellement à la Fratrie et la traditionnelle photo des Pape ! J'oublie l'horloge. Pas ce qu'il y a écrit en dessous. Et encore moins les figurants ! David vient de se faire opéré du ménisque : c'est vrai que "j'ai de la chance d'être là, en fait" ; dixit Grégor.


Je pense aux copains de lycée, en m'engageant dans le second tour. Les Blacks, naturellement, avec Zoï qui s'est mis au bike. Jo, toujours aussi talentueux, se prépare à un nouveau Sub3 sur marathon. Ti'Manu et j'en oublie ; mais pas notre Guytou ! "Oh, elle est encore loin la plus belle des hollandaises ; mais je l'embrasserai". Dans la dernière partie, une douleur au bas du dos se réveille : j'ai vraiment mis trop de braquet sur le bike et sursollicité ma chaîne postérieure. "J'ai mal au dos, mais je ne marcherai pas" annonce-je à mes chéries. C'est que j'ai une promesse à tenir ...

Las ! La douleur est trop forte et m'oblige à m'arrêter plusieurs fois pour m'étirer. Ce 3ème tour est un calvaire. Cal'vert titrerait Bertrand, un des copains de MSA Tri, à qui je dédie le bracelet. Je suis déçu. Dans ces moments, les pensées négatives surgissent. Les mêmes pour les artistes que les triathlètes. Ces "J'suis nul", "j'suis pas fait pour ça", "j'y arriverai jamais" , etc.


L'acteur s'arrête au milieu de sa tirade. Il ne retrouve plus son texte.  C'est le couac du musicien : le pain, comme on l'appelait. Que va penser la critique, qui n'avait pas besoin de cela pour t'humilier ? Encore du grain à moudre pour les copains de Trash-mort !


Mais la version IronLoulou 2.0 a apporté quelques anti-malwares. D'abord rester FOCUS. Un pas après l'autre, pour rejoindre le prochain ravitaillement. Et reprendre, ainsi de suite. L'Ironman® est (aussi) fait pour tester et dépasser ses limites. Je ne céderai pas. Il est temps de se reprendre et de mettre en place mes leviers. J'ai recours à la philosophie. Oui, comme promis. Sartre : "L'existence précède l'essence". Je me suis approprié cette formule en lisant le livre de Guillaume Martin. Elle signifie que rien n'est écrit tant qu'on n'a pas agit. Pas question de se définir comme nul, ou comme un cador, avant l'issue de la course. Cette thèse existentialiste a d'ailleurs été reprise par un grand philosophe d'origine néerlandaise. Non, pas Spinoza : Eddie Van Halen !

 Ah, might as well jump, jump

Go ahead and jump

You say you don't know, you won't know until you begin



A ce propos, je ne peux m'empêcher de vous partager les premières paroles de Top of the Word, qui ont animé chacun de mes passage devant mes chéries. L'Ironman® offre ces moments précieux, durant lesquels je suis certain d'être l'homme le plus important à leurs yeux. Leur regard, leurs encouragements : c'est le père qui s'accomplit au travers de l'épreuve ; et c'est encore plus fort.



Ne me demandez pas pourquoi - ainsi en va-t-il de la magie du "Long" et de l'art - Mais je me sens vraiment mieux sur le 4ème. Un soupçon de paracétamol, un cocktail d'endorphines et d'adrénaline, envoyé tardivement par le cerveau pour masquer la douleur et la tête ! Ma tête ! Vous l'avais lu dans mon dernier billet : je m'étais préparé à "danser avec la douleur". C'est juste qu'elle est arrivée trop vite. C'est juste que ce tour, marquant le début du deuxième semi, je le réservais depuis longtemps à Fred-BipBip. "Si je cours, tu cours !". Ces hormones et la satisfaction d'avoir repris le dessus me stimulent. Quel bonheur ! J'ai l'impression - qui n'en est qu'une - de voler. La différence entre le ressenti et le chrono est à l'image de notre scène préférée du film du Palmashow.






J'entame le cinquième tour en annonçant à Solène "La Normandie va mieux". "Je vais me faire plaisir sur les deux derniers". Plaisir ! Plaisir ! Plaisir  ! ont scandé nombre d'entre vous. Je me passe une musique, que je n'appréciais que dans certains moments d'euphorie. Oui, ma Quenotte. Les copains, ça va pogotter fort : Cours vite !


Le dernier tour est pour moi. Je le savoure ainsi que ces deux chansons. D'abord, Hold On Tonight, de Heaven's Edge. Sa mélodie et son texte me touchent : "profite maintenant pour ne pas regretter". C’est beau. Les larmes me viennent, en remerciant intérieurement Fred de me l'avoir fait découvrir, avec tant d'autres choses de l'art musical ! Je termine par celle, dont je vous ai déjà parlée ; car embrasser la finish line, deux fois, ne m'a pas suffi : Kiss me deadly !  Je suis très heureux de tout se qui se concrétise au niveau mental, en particulier. Ce que j'ai découvert et travaillé, avec tant de plaisir à l'entraînement. Ce que je vous relate dans ce blog, à l'image d'un backstage.

Car, pour l'artiste, le chemin et aussi important que la destination, la réalisation.


Je réalise mon geste final. Cette fois, mon index tape ma casquette pour indiquer l'importance qu'a eu le mental pour boucler mon troisième Ironman® et dans le plaisir à le préparer. Et j'embrasse ma hollandaise.




Le chrono affiche la sentence : 12h02. J'avais visé 11h. Jamais je ne m'étais autant préparé. Plus qu'un sentiment aigre-doux ; ce hiatus entre la contreperf' et  la satisfaction de ce que j'ai vécu durant ces 501 jours.

                             

Flashback musical. Nous sommes chez Fred, avec Virginie. On écoute la prise de son, effectuée sur le poste radio de Bruno. Du matériel fiable, qui ne sature pas sous mes coups de cymbale, lorsque François monte dans les aigus ou qu'Olivier joue trop fort. Malgré les retours positifs, je ne suis pas satisfait. La prestation n'est pas à la hauteur de mes attentes ; du temps que j’avais passé à écrire et de l’émotion que je voulais transmettre.

 

Est-ce que j'ai arrêté de composer ? Dans cette perspective, est-ce que je vais continuer de courir sur Ironman® ? Ouvrez le classeur vert, sur laquelle la médaille  était posée et vous saurez.

 



C'est tellement fort ce qu'on vit quand on compose, qu'on prépare et qu'on joue en concert ! Toute ressemblance avec ce que je viens de vivre n'est décidément pas fortuite ....