dimanche 25 juin 2023

L'aventure ensemble. Le défi face à soi-même.


Vous me connaissez "sacré cérébral", comme m'a défini Romaric. Pourtant, ce sont les mots de Quenotte, qui seront les plus efficaces sur ce titre et le reste ....

Commençons par vous présenter ma Team Graveleux. D'abord, pour vous éviter de relire les billets précédents*. Ensuite, et surtout, car j'assume être un animal social. J'étais accompagné dans mes plus belles courses : David sur le marathon de Paris ; Ben et JC au Doussard comme à Belfort. Sans parler, de mes Ironfriends qui me permirent de franchir ma première Finish Line (Quenotte) et d'atteindre Sub 12 sur Ironman (BipBip). A l'inverse, lors du DNF de Maastricht, malgré la présence des petits hommes verts de Vincent, je m'étais préparé seul. Je vois en cela moins un hasard, que cette nécessité d'être entouré.


Le grand à droite, c'est Christophe. On a fait nos premiers tours de roues ensemble, il y a près d'un an. C'est avec lui, que je me suis lancé dans ce projet assez colossal : boucler notre premier ultra gravel, alors que nous débutions dans la discipline. Séb, mon compère de Cité U, nous rejoindra vite ; totalement néophyte sur la longue distance. A gauche, notre leader de vestiaire, qui nous guidera de son expérience : Fred, Ma Quenotte. Un porte-bonheur et un compagnon indispensable pour la prépa comme pour le reste ... 

Je vous épargne ici de la phase d'approche, n'offrant pas la facette la plus agréable du mari. Je vous passe ici ma matinée à J-1 ; dont la seule chose que je retiens reste la coupe de cheveux, réalisée par Victoire. J'en  avais besoin pour mieux supporter la chaleur et profiter de la sienne.

Nous nous sommes inscrits sur la Gravel Of Legend. On l'a choisie car elle était décrite comme abordable par ses aspects techniques et son dénivelé  : 2 500 m sont annoncés sur les 327 kilomètres. La contrepartie de cela est logistique : se faire accompagner au départ d'Arromanches, puis suivre avant l'arrivée à Angers ; où nos femmes nous auront rejoint en voiture. Heureusement, celle de Séb est là et va assurer cet accompagnement précieux, avec une implication exemplaire. Big Up pour Peggie. Tu as largement contribué à la réussite de chacun et la cohésion de groupe. Encore merci !

A l'heure où les journées thématiques se multiplient sur tout et n'importe quoi ; j'aimerais que l'on fixe au 16 juin, celle des accompagnateurs, sans lesquels on ne serait rien. Vanessa, Mél, Jean-Charles, Oksana, Dima, Peggie : elle est pour vous.

L'arrivée à Arromanches se fait dans des délais et un stress relativement confortables, compte tenu de la complexité de notre organisation. Le point crucial est ce pneu de Séb qui ne cesse de se dégonfler, alors qu'il est quasiment neuf. Quenotte va faire parler sa science du bricolage (songez qu'il a utilisé de la glaise pour colmater une fuite sur son tubless cet hiver !) et réaliser son premier miracle du week-end. Nous pouvons désormais nous détendre et engager la pasta partie goulument. Enfin, c'est ce que j'espère, rattrapé par des nausées somatiques d'avant-course. Je me coucherai donc le premier et répondrai à la question, que nous nous posions avant le séjour : qui ronfle le plus fort ? Au petit déj', je manque de vomir dès ma première gorgée de café. Il est temps que le corps et l'esprit s'alignent, dans ce dialogue que j'imagine :

- Ca va être dur. Il fallait se reposer.
- OK : c'est fait depuis hier en me couchant grâce à ces symptômes
- C'est une distance inconnue
- OK : je me suis consciencieusement préparé pour. Laisse-moi gérer
- OK : je te laisse tranquille une vingtaine d'heures

Je ressors de cela et des toilettes, tout neuf. Une belle journée va commencer. Il est temps de profiter de la table pantagruélique et du gâteau sport, préparé par Peggie. Elle a pris la recette d'Oksana. Les bons souvenirs rejaillissent. Une belle journée va commencer ....

.... par 13 kilomètres d'échauffement, pour rejoindre le départ. Avec les commémorations de mai et de juin, les places sont chères dans le coin. J'entame donc une balade de 350 kilomètres avec le trajet qui reliera l'arrivée à l'appartement d'Angers. J'aime le défi. Surtout, cette grosse demi-heure permettra de s'éveiller, faire le point, profiter des premières lueurs du jour et des copains.


"Arromanches : un lieu chargé d'Histoire. A nous d'écrire la Notre (Séb)"


Step 1 (0-66 K) : observer

J'ai découpé l'épreuve en fonction des check-points, dont j'ai collé le kilométrage sur mon cadre : 66 ; 114 ; 156 ; 221 ; 281 ; 327. Un outil classique de la préparation mentale, même si, aujourd'hui, il faudra plus de temps pour passer d'un ravitaillement à un autre, que sur Ironman !

Premier objectif donc : observer et tenter de se placer dans un bon groupe. J'ai rapidement perdu de vu Quenotte au départ, bien plus habitué à l'exercice que moi. Pour autant, je navigue avec sang-froid et m'efforce de ne pas m'enflammer. Le plus dur reste à venir, comme vous pouvez le devinez sur le profil de la course.

Comme il nous l'avait indiqué, le peloton étant assez large en début de parcours, nous pouvons préserver l'énergie de nos GPS et de nos cerveaux, en se contentant de suivre les gars de devant. Une succession de passages techniques entre le 50ème et le 60ème va scinder le peloton en grappes. Je suis appliqué et m'efforce de rouler toujours à mon rythme. J'arrive au viaduc de la Souleuvre sans encombres et riche d'un souvenir de l'enterrement de vie de garçon de Ben. En croisant, Peggie sur la route, j'avais entendu : "Séb n'est pas loin derrière". Finalement, c'était "Fred". Je suis content de le revoir. J'apprendrais qu'il a eu un souci d'orientation. On décide de repartir ensemble.


Step 2 (66-114 K) : gérer

L'essentiel du dénivelé est ici. Et même, dès la sortie de le zone de ravitaillement avec 500m à 12,6 %. Le ton est donné. Quenotte souffre et m'invite à faire ma course. On en a parlé de nombreuses fois et on l'a vécu avec Séb sur le Tour de Seine-Maritime : il est souvent délétère de rouler à deux, quand l'un des deux ne va pas bien. Là, non. Nous ne sommes qu'au début de l'aventure. Il peut se refaire. Et préserver de l'énergie en roulant un ton en dessous, ne me sera pas préjudiciable. Il prend ma roue et retrouve de la lucidité à mesure qu'il se nourrit sur le vélo. Tel un équipier du Tour de France, j'écoute scrupuleusement ses consignes : prendre les roues ou les laisser filer ; maintenir ou réduire l'allure. "T'inquiète, les groupes vont se faire". Je me délecte de son expérience.

Les têtes reviennent et il y en a une qui a l'air plus sympa que les autres. Prenant une trajectoire trop large, je l'ai gêné. Plutôt que de gueuler nerveusement ou ne rien dire, Jérôme m'a chambré et on a commencé à se marrer. Ca fait du bien de voir un mec sourire et ne pas se prendre trop au sérieux. Il vient de Bourgoin-Jallieu, terre de rugby. Cela doit expliquer cette sympathie et nous offrira un sujet de conversation.  Il roule assez fort, mais décidera de rester un bout avec nous ; profitant de notre compagnie et des conseils de Fred. Celui-ci a repris du poil de la bête. Il a réussi a gérer les côtes du parcours, y compris la Bandelière Climb. Après plus de 100 kilomètres et 2 000 m de dénivelé cumulé, ce kilomètre à 11% caillouteux et technique a fait mal. On a posé le pieds à terre. Je l'observe se remettre sur le vélo avec aisance, avant moi. Il a retrouvé de la lucidité et son coup de pédale. Je souris.

Check-point n°2 : "Le plus difficile est passé. Après ça descend !", si on a le regard aussi optimiste que Laurent ou le mien. On engouffre nos sandwichs goulument, en proposant à Jérôme de repartir avec nous.


Step 3 (114-156 K) : Ma Bretagne ; ça me gagne

Le passage à Saint-Hilaire-du-Harcouët marque l'arrivée en Bretagne. N'allez pas pinailler sur les frontières normando-bretonnes. Il y en a bien qui placent le Mont-Saint-Michel en Normandie ! Pour moi, Saint-Hilaire-du-Harcouët sonnera toujours breton et ces souvenirs d'enfance, avec leurs trajets dans notre combi blanc pour rejoindre mon grand-père ou ma grande-tante. En Bretagne, j'ai aussi vécu de super moments d'amitié et de triathlon longue distance : avec les Pape et David à Saint-Lunaire et Ma Quenotte sur la Triskel Race. Quand je vous écris que c'est mon porte-bonheur, ce n'est pas uniquement pour la rhétorique ! Alors oui : je n'avais pas encore parlé de Caro et Xavier. Je boude, car je n'ai pas eu le droit à ma photo d'encouragement, qui fait leur légende. Pas besoin qu'elle me manque pour savoir qu'elle m'est aussi précieuse que Vous !

J'ouvre les yeux et roule à l'ocytocine. Je passe pas mal de temps devant, car je m'y sens bien. Les voies vertes sont très agréables. Les nombreuses barrières qu'elles comportent m'offrent une source d'amélioration technique précieuse, à chaque franchissement, et un bon prétexte au chambrage de mes compères. Je crois qu'il faudra attendre la soixante-dixième, pour que je parvienne à ne pas déclipser deux fois de suite !


Voilà ce que Jérôme retiendra de moi ; tandis qu'il qualifiera Fred de "très expérimenté", sur la partie descriptive de son Strava. Je ne vais pas me vexer. Il est plus grand que moi. Et mon code de l'honneur m'impose de ne pas taper les plus grands. Tu as de la chance Jérôme, tu as de la chance ...

Profitant de nos longs moments de silence, je profite de ma bulle poétique.

Olivier Hervé aussi à l'aise sur un vélo qu'avec un stylo ! J'avais dévoré son premier essai Pédalées. Je savoure son recueil de poésies Spoèmes. Centre de formation est ma préférée (ci-dessus). Je l'ai apprise par cœur, comme un écolier. Et, comme un écolier, je profite des joies de la bicyclette : l'air sur mon visage, les poumons qui se gonflent, les jambes qui se contractent à chaque coup de pédale. La liberté ! Je retrouve cet âme d'enfant, qu'on oublie trop souvent.

Voilà donc une de ces parties euphoriques, que l'on connait sur le Long. Le calme avant la tempête, diraient les marins bretons, comme les normands.


Step 4 (156-221 K) : le point de rupture

La pause au ravitaillement m'a permis de prendre des nouvelles de Séb et Christophe, auprès de Peggie. A ses dires, Séb est à une heure et très souriant. Impressionnant pour un gars, qui bouclait son premier 100 bornes en vélo-route, il y a à peine un an. J'ai pas mal échangé avec lui. Je pense en avoir saisi les leviers. J'ai essayé de trouver les mots, mais rien ne remplacera - pour lui, comme pour tous - la réalisation de l'épreuve. "Savoir n'est pas connaître". Il n'y a qu'en franchissant cette finish line et qu'en écrivant ton Histoire (pour te paraphraser) que tu sauras. Et tu as su ...

On roule en plein cagnard et proche de la surchauffe. J'ai besoin de refaire le plein de mes gourdes. Heureusement, Jérôme usera de son charme pour trouver un arrangement avec la coiffeuse de Saint M'Hervé. Une pause bienvenue et rafraichissante à tous égards. Ce qui s'est passé dans le salon de coiffure, restera dans le salon ...

Réjouissances et rigolades de courte durée. Au détour du kilomètre 200, je le prends. Le coup de bambou ! Je suis dans le mal.  Est-il besoin de vous décrire le poids de ce vide ?  Est-il besoin de prévenir les copains ? Non l'ont vu. Ils m'encouragent à les suivre. Non, ils ne me lâcheront pas malgré ma demande languissante. Le ravitaillement est à une vingtaine de bornes.

Ca me laisse le temps de jouer avec le point de rupture. Celui que j'attends en m'alignant. Cet exercice. Cette catharsis. Il est temps d'utiliser cette boîte à outils, que je me construis depuis tout petit. 

Pour les rimes, laissons Olivier s'emparer du sujet, que nous aimons tant partager. Figures rhétoriques et poétiques mises à part, la préparation de cet événement fatidique nourrit ma motivation à l'entraînement. Mon vécu avec ce fameux mur compte fortement dans l'évaluation de ma course. Inconscient à Vichy ; subi à Copenhague, victorieux à Arnhem, vaincu à Maastricht. Si le chrono d'Arnhem est bien en deçà du danois, le dépassement de la difficulté boosta mon envie de m'y remettre ... trop vite.


C'est étrange, mais ainsi : l'accomplissement de l'homme dans la douleur. Une interprétation différente du mythe de Sisyphe, de celle d'Albert Camus ou de BipBip. Lui, aussi s'est essayé à l'écriture. Dans Un Certain Horizon, j'ai retrouvé son style : précis et soigné. Deux ans de travail. Des arguments aussi solides que l'homme sur sa machine. Ici aussi, le temps défile rapidement. 

Mais, il est temps de mettre en œuvre tout mon travail de préparation mentale ; dont quelques séances qu'il me proposa, en cobaye, avant qu'il n'obtienne sa certification de coach sportif. 

- Sourire, sourire, sourire (kinesthésie)
- Attirer son attention ailleurs que sur sa douleur et ses doutes : regarder, chambrer, réciter (Le sport, une école unique du corps, de l'âme ....)
- Décompter : 20 bornes encore, 17, 13, 6, 3, ...
- Ecouter (programmation neuro-linguistique) : Tough Times Don't Last 

Peu importe si les paroles sont aussi naïves, que le "hard FM" prêtait à rire. Ils font mouche chez moi. Peu importe si ces gadgets prêtent à sourire. Cette fois, je suis acteur de mon point de rupture ! 

Nous atteignons enfin le ravitaillement. Je sais ce qu'il me faut : un grand verre de coca et cette boisson à 50/50 dans mes bidons. Une bénévole me propose gentillement un godet de 10 cl : "il faut faire pour tout le monde". Je pense qu'elle tape dans sa propre réserve et ne pas avoir été le seul à lui faire la demande. Pour le reste, il faut compter sur le sponsor et ses électrolytes "free sugar" au goût Schtroumpf, avec des compotes allégées en sucre. J'exagère un peu, car les ravitos sont tout de même généreux en bananes, barres énergétiques, tucs et délicieux crackers locaux. Il n'empêche, qu'il manque cette valeur sure. Ce truc qu'on fuit le reste du temps et qui devient vital un instant : le coca.

Peggie vient d'arriver. Je ne me rends pas compte de mon état "qu'il aurait fallu filmer", dans lequel je lui en demande trois cannettes. Maintenant, ça devrait aller même s'il me faudra du temps pour que les sucres s'assimilent et que je remonte sur le vélo. Je remercie Quenotte et lui demande d'y aller seul. M'observant dans cette posture, illustrant mon abandon à Maastricht, le sang de mon Ami ne fait qu'un tour. Trois phrases. Trois phrases, qui dépassèrent tous mes instruments précédents.  Trois phrases magiques, qui entrèrent dans sa légende :

- T'as mangé
- T'as bu
- On y va !

On se regarde avec Peggie. Pantois.

Un style qui claque aussi bien que celui d'Olivier ; mais dans ma gueule. Et j'en avais besoin ! Ces trois phrases sont plus impactantes que bien des discours et des théories. Quel génie !

- Bon bah, à tout à l'heure !


Step 5 (221-281 K) : copains-rouler-machine

On prend un groupe, qui nous double régulièrement et que nous dépassons, à la faveur de pauses plus courtes. Ca, c'est l'expérience du coach du jour. Je me cale dans sa roue et dans celle, bien plus agréable, de Jérôme. Derrière son mètre quatre vingt quinze, je ne sens pas du tout le vent. Il s'enquière de mon état.

- J'en sais rien. C'est la machine qui a pris le relais !

Je suis en pilotage automatique : copains-rouler-machine-copains-rouler-machine.

Une superbe expérience. On dit que l'ultra fonctionne au mental. C'est bien plus subtil et réside dans une interaction prodigieuse entre le corps et l'esprit. Ils ont repris le dessus, car le corps a senti cette main apaisante et goûté le coca salvateur de Peggie. Car il a vu dans les yeux de Jérôme, cette solidarité véritable, que beaucoup pérorent. Parce qu'il sent ces odeurs, que le sport en extérieur offre. Car il a entendu ces mots de son Ironfriend. Ils ont fait résonné tous ses sens, du premier au sixième.

copains-rouler-machine

Le sucre est assimilé. Loulou et de retour. J'ai à cœur d'aider Jérôme, qui pioche maintenant. On a identifié que le leader du peloton et son prolongateur attendaient systématiquement son pote avec un sac à dos vert. Pas besoin de se parler avec Fred. L'objectif est de boucher le trou lorsque les côtes éparpillent le peloton et de ramener notre compère dans la roue du sac à dos vert. Bon sang ! Ce n'est pas parce qu'on avait mangé la moitié du dénivelé dans cents premiers kilomètres, qu'il n'y avait plus rien après ! Optimiste, j'ai tendance à visualiser l'arrivée après les grosses difficultés du parcours. Il n'en est rien. Les meilleurs la visualisent d'ailleurs bien après la ligne. Un point à travailler pour l'avenir.

copains-rouler-machine

Mon décompte "ravito" se poursuit : 40-32-20-16-7-3

copains-rouler-machine

Une nouvelle chanson à ajouter à ma playlist s'impose. Moins ésotérique que Bad English, mais tout aussi efficace. Une évidence du Boss !
Born to (ultra) run !


Step 6 (281-327 K) : "Tu la voulais cette arrivée à deux ?"

Mon enthousiasme au dernier ravitaillement est de courte durée. Jérôme est cuit. On avait laissé filer le groupe devant pour temporiser ensemble, mais la chaleur a eu raison du lyonnais. On se résout à le laisser  allongé, à l'ombre, souriant auprès de sa femme. Sincèrement : merci pour ce super moment, comme on les aime. Et, ne t'inquiète pas : ce qui s'est passé dans le salon de coiffure, restera dans le salon ... 

Je branche la powerbank de Solène sur mon GPS. J'avais besoin de son énergie .... Je check mes SMS et j'apprends que Christophe est proche de l'abandon. Il a fait un malaise vagal, Peggie attend de connaître l'avis du médecin. Christophe, mon poulain !

Levons le secret. Avec Quenotte, durant toute cette prépa, nous scrutions la progression de nos jeunes coéquipiers. Si Séb nous impressionnait par son implication et son kilométrage, Christophe connaissait quelques aléas, compliquant sa préparation. Mon inquiétude était double : qu'il ne soit pas suffisamment préparé et soit en retrait de notre bande de Graveleux. Il ne pourra pas participer à nos deux courses préparatoires : la Gravel Nicolaysienne et  le Tour de Seine-Maritime. Alors, quand au détour de deux sorties vélos et trois coups de fil, il me demande de le guider dans ses cinq dernières semaines, j'enfile mon costume de Loulou Coach. J'avoue, que cela m'a vraiment plu de réfléchir à la programmation la plus adaptée. Prendre le soin d'observer ses sorties et son ressenti. Trouver le compromis entre effort et récupération ; convalescence et coup de pieds au c... Christophe a un sacré moteur : je ne décrypte pas aussi bien le coup de pédale que Quenotte, mais je sais lire un test d'effort. Avec beaucoup d'échanges, on a trouvé le bon mode de sollicitation. Suffisant pour bien figurer ... c'est ce que je pensais.

Quenotte me relance en une question, alors que nous nous engageons sur la dernière partie de l'épreuve : Tu la voulais cette arrivée à deux ?

Oh que oui ! Te tenir, c'est que je suis dans le coup sportivement. Rouler avec mon Ironfriend, ce sera encore une quarantaine de bornes supplémentaires dans notre histoire.

Le duo prolongateur - sac vert nous rattrape. On le laisse filer. L'envie de profiter de ce moment tout les deux. Et la prudence du sage : "Ca sent l'écurie, mais on a 300 bornes dans les pattes".

Je suis enthousiaste et roule probablement un chouille trop fort. Il a raison, je ne tarde pas à mettre la main à la poche. Il en rit encore intérieurement. Je profite de la voie verte longeant la Mayenne pour ouvrir les yeux. Je m'attends à ce que la route se termine ainsi : sur de longues pistes cyclables. Mais non ! C'est maintenant, alors que la nuit va tomber, qu'on s'engage dans des zigs et des zags péri-urbains et de nouvelles menues portions forestières. Je profite du guidage de Quenotte et l'attend en haut des bosses : chacun sa compétence ! Dans l'absolu, ces parties ne sont pas très difficiles. Mais, après une grosse journée d'efforts, cela prend des proportions plus importantes. C'est l'ultra. C'est le jeu ! 

A l'arrivée sur Angers, on s'arrête pour enfiler nos gilets fluos. Afin de bien terminer, j'avale un gel et trois grosses gorgées d'eau, immédiatement rendues à Dame Nature. Pardonnez-moi pour ces détails, si vous êtes à table. Ce vomissement est bien différent de celui de Maastricht. Le précédent marquait un ras-le-bol du corps et de l'esprit. Un ras-le-bol au sens propre, comme au sens figuré donc : amis de la sémantique et de l'approche lacanienne, régalez-vous ! Ici, c'est ce dialogue, que j'imagine encore.

OK, tu m'as laissé tranquille une vingtaine d'heure comme promis. Merci, je termine souple.

Je viens de comprendre que vomir n'était pas rédhibitoire. C'est un signe, qu'il faut interpréter à sa juste valeur. Il fait partie du jeu de l'ultra. Il m'a permis de repartir psychologiquement et physiquement allégé. Bon appétit !


- Il est temps que ça se termine !

Ma Quenotte est proche de la saturation, lorsque nous apercevons nos femmes sur le bord de la route. La trace passait à 200 m de notre location. Ca fait un bien fou ! Nous apprenons que Séb assure et que Christophe poursuit sa route dans un groupe. Fred repart ragaillardi. Nul ne sait ce qu'on lui a dit. En fait, rien : il a juste vu Charly.

- Bonne première Fête des Pères, mon copain.


Reste encore 3,5 kilomètres. Les meilleurs. Ceux de l'introspection et de la dégustation. Vous, qui me connaissez et venez de me lire, imaginez la force du moment ! 

J'ai trouvé ce que j'étais venu chercher :

- Un challenge : s'engager sur une épreuve difficile, qu'on ne connait pas
- Un exercice : mettre œuvre mes connaissances théoriques et de moi-même, pour concevoir une programmation efficace  
- La confirmation de ce que j'aime et celui que je suis : l'ultra et les copains. Ma signature sur le mur des finishers n'en sera que plus évidente
- Le point de rupture



Tout cela n'aurait pas été possible sans toi, ma Quenotte. En me partageant ta passion du gravel, tu m'offrais une alternative et une revanche sur l'Ironman. En nous abreuvant de ton expérience, tu me donnais des points cruciaux sur ma planification et tu rassurais les copains. Et là. Là. Ces trois phrases magiques, qui me permirent de dépasser le point de rupture et de chasser des démons. Je ne serais pas là sans toi. Et je suis heureux d'être avec toi. Il fallait que ce soit écrit.

- Juste merci !

Je peux aussi faire court. Ce sont ces paroles que je prononcerais, alors que nous lierons nos mains en franchissant la ligne. [ndlr : j'espère qu'on aura la photo de l'orga, qui tarde]

Cerise sur ce savoureux gâteau : nous sommes Top 100. La camaraderie et l'âge ne sont pas incompatibles avec l'ultra-performance. Pas chez moi !

La photo de Fred, illustrera un bel article dans le journal local. Seul bémol, à mon sens, l'illustration.




J'aurais choisi, celle-ci. Mais il est bien plus pudique que moi.



Step 7 (327 - ) : Et maintenant ?

Nous nous enquérons de Jérôme, auprès de sa femme. Il est à neuf bornes. Ne t'inquiète pas : ce qui s'est passé dans le salon de coiffure, restera dans le salon ... 
[@Jérôme. Je n'ai pas mis ta photo, ne sachant pas si cela te dérangeait. On pourra corriger, si tu es jaloux. Je ne peux rien refuser aux plus grands. C'est une question de code de l'honneur]

Séb arrivera trois heures après-nous. Grand bravo mon Séb. Je crois que cette Finsih Line a mieux parlé que moi. Tu étais bien plus que légitime à t'engager sur cette épreuve. Tu as fait œuvre d'une application exemplaire ; démontrant qu'en s'entraînant, "anything is possible". Je t'aurais bien attendu de l'appart'. Comme je l'écrivais à Peggie, la tête n'arrivait pas à redescendre, même si le corps réclamait du repos. Finalement, je me suis couché. Il le méritait bien.

Christophe termine dans les délais, après 21h20 de ride. Grand respect. Sur marathon, on se dit toujours que les mecs de derrières auront plus mal au jambes. En ultra-cyclisme, ça doit être pareil, à quelque chose ou centimètres près ... Plaisanterie mise à part, puisque le mot est à la mode, il sera sincère et avéré : quelle résilience ! En dépit des incidents dans ta prépa et de ce malaise, tu es toujours reparti avec le sourire. Ne me remercie pas pour ce modeste coaching. C'est à moi de te remercier pour le plaisir que j'ai pris dans cet exercice, et la fierté de te savoir finisher. Ca méritait bien la photo et le post sur la page Facebook du Nature is bike !

Difficile de vous donner des stats fiables. Dans l'ultra et le gravel, les moyennes dépendent tellement du terrain et des conditions météo, qui m'ont été favorables. Le chrono aurait été bien différent avec le vent dans le nez et de la flotte, sur des parties aussi techniques que celles du Tour de Seine-Maritime. A ce point d'ailleurs, qu'il m'aura fallu a peine moins de temps pour boucler ses 240 kilomètres, que les 327 de cette épreuve. De plus, j'ai allumé mon chrono 10 mn avant le départ, ne l'ai ni mis en auto-pause, ni arrêter avant de rejoindre notre location, etc.

Ce qu'on sait, c'est un parcours bouclé en 16h54, avec une 95ème place sur
- 272 partants, sans compter presqu'autant en bikepacking, réalisant le parcours en deux jours
- 234 arrivants, soit 86% de finishers : y a pire, mais ce n'est vraiment pas rien


Le samedi sera consacré à la balade en famille à Angers. Cela permet de profiter de nos femmes, tout en continuant à débriefer, les étoiles bien les yeux.



327 kilomètres de gravel, c'était difficile de se challenger plus, pour une première participation. Au-delà, on passe sur du bike-packing, la gestion du sommeil avec des contraintes plus fortes d'autonomie matérielle. C'est autre chose. En deça, hormis le tour de Seine-Maritime, ce sont des épreuves ou des cyclos de 100-160 kilomètres. Durant la semaine, je m'interroge donc  :

- Après une telle réussite, qu'est-ce que je fais maintenant ?

Vendredi, j'en échange avec mes IronfriendsA l'heure de l'apéro, le SMS de Quenotte fuse :

- Bah, prends une bière !

Un génie, j'vous dis!


IronLoulou



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* Il y a encore des tas de liens dans ce billet, pour ceux qui en ont l'envie et le temps.