lundi 4 septembre 2017

13 heures et des émotions à l'infini

Cela fait plus d'un an que j'écris sur ce blog et que je vous livre les pensées qui m'ont conduit jusqu'à ce premier Ironman. Mais, je crois bien ne pas vous avoir partagé d'émotions. C'est inévitable maintenant ; tant il y en a eues.

La première, c'est cette excitation de la dernière semaine, commune à mon compère Quenotte. Les SMS fusent et on n'arrête pas de s'appeler sous un prétexte ou un autre : "des vraies gonzesses" ! Cela dit, sans caricature - aucune - à l'égard de la gente féminine, qui m'accompagne depuis 19 ans. Une femme, deux filles, une chatte : machos s'abstenir !

A l'excitation succède le trac, lors de la remise du dossard. Une bénévole attentionnée me propose de porter le bracelet vert, réservé aux triathlètes réalisant leur premier Ironman. Il doit permettre au public de mieux nous identifier et nous encourager davantage. A la réflexion, lorsque je croise les compétiteurs plus expérimentés, mollets impeccablement épilés, voir tatoués, j'ai l'impression de rentrer dans une boîte de nuit, affublé d'un T-shirt "puceau".


Après le trac, c'est l'anxiété. J'ai des douleurs dans le bas du dos, probablement liées à ma séance à "J-4" ; certainement accentuées à l'approche de la course. A quel point vont-elles l'impacter ? Seront-elles maîtrisables, en adoptant des positions et allures antalgiques, ou me contraindront-elles à abandonner ?

L'anxiété laissera durablement la place à la joie. La joie de retrouver Ben et sa famille. Car, après tout, le sport n'est qu'un prétexte à de bons moments entre amis. Et ça, je suis certain de vous l'avoir déjà écrit !

Tout cela me permet de gagner en sérénité ; ce d'autant que Jean-Charles, le père de Quenotte, nous fournit un soutien logistique des plus appréciables. De sorte que, comme je leur disais : "c'est comme pour mon mariage ; plus cela avance et plus je me détends". Etendu sur le sol à 30 minutes du départ, j'essaie de la conserver. Initialement, je m'étais allongé pour calmer le dos. Je m'y sens bien. J'y fais le plein de sensations : la bruine matinale et la composition de ce corps, considérablement modifié depuis un an à force d'entraînement. Les ambitions chronométriques étant des plus incertaines, également en raison de la chaleur attendue, je me focalise sur mes objectifs majeurs :
- Aller au bout de mon Projet (l'épreuve n'étant que son aboutissement ... et quel aboutissement !)
- Que me filles soient fières de moi

Je passe ici l'introspection tant attendue par la plupart des coureurs du long ; lorsque le corps endolori laisse la place à l'esprit. La journée, puisque la course durera bien plus de douze heures, doit donc être belle. J'ai envie d'en profiter. Je ne suis pas tant un compétiteur qu'un sportif hédoniste. Les derniers encouragements, que je me remémore, prolongent cet état d'esprit. Mention spéciale à l'étreinte et aux mots de Victoire, juste avant que nous ne quittions le mobil-home. J'ai décidé de positiver ; à tel point que je me réjouis de l'interdiction de combinaison. Elle me permet d'être en parfaite harmonie avec l'eau ; de me souvenir que j'aime cet élément. Alors, tant pis si la béquille de néoprène m'aurait permis de gagner plusieurs minutes sans me fatiguer !

Mais là, je suis en plein doute. J'ai fait le choix de nager près de la berge où le courant est moins fort. J'y suis esseulé. Craignant d'adopter un rythme trop lent, je rejoins la meute après 500 m. Les bouées sont proches et me sanctionnent : lorsque je nage, je tire les bords selon mon côté de respiration. Les carreaux de la piscine nous guident, mais en eau vive, cela ne pardonne pas. Plus de doute donc : il va falloir prendre des cours de natation. Je passe la bouée des 3000 m avec satisfaction et la nostalgie du Triathlon de Troyes. C'était en 2010. Mon visage s'était décomposé en constatant l'éloignement des bouées du parcours de 3 kilomètres. JC s'en rappelle encore. Là, je suis bien. Pas efficace (donc), mais bien. Je sors de l'eau en 1h35 : "ce qui est bien mais pas top". Comme les résultats du concours de police du Commissaire Bialès dans la Cité de la Peur.

Place aux 180 km de vélo. Mais avant cela, une longue transition. Suivant le conseil de David, j'ai été directement dans le fond de la tente pour y trouver plus facilement de la place. Je prends mon temps pour m'équiper, parfois à mon corps défendant. Il s'agit ici de mon torse mouillé, qui refuse un placement rapide du top de vélo, sans fermeture intégrale. Une fois sur le vélo, je suis euphorique. Je pense à tous vos encouragements, principalement reçus sur Facebook. C'est à se demander si Marc Zuckerberg n'a pas inventé l'Ironman pour nous rendre accrocs à son réseau social. Nous nous y sommes très souvent connectés, avec Quenotte. Pas tant pour comparer celui qui avait la plus grosse ... publication (à quoi pensiez-vous encore ?) ; mais partager toutes ces pensées positives. Les paysages sont sympas, mais pas autant que les bénévoles et le public. Enfin, cerise sur le gâteau : grâce au système de rolling-start, il y a très peu de drafting. Et puis, il ne faut pas se mentir : "on kiffe la position aéro" quand on fait du longue distance.

Je me méfie toutefois de l'euphorie, car cela précède généralement une hypoglycémie. Je m'efforce donc de boire régulièrement et de m'asperger. Car le soleil tape d'autant plus fort (36°C quand il y a de l'ombre) que mes derniers entraînements ont été réalisés en-deçà de 20°C. Je ne m'étonne donc pas de symptômes que je ressens au milieu du deuxième tour : le souffle court et l'inconfort à ce qui paraît plus aisé habituellement, rouler aux alentours de 30km/h sur du plat. 

Je mets pieds à terre au bout d'un peu plus de 6h05. Je n'ai donc pas perdu trop de temps malgré ce coup de chaud. Mais, il va me falloir continuer de gérer, de recouvrer mes forces. Pour preuve, je ne parviens à courir jusqu'à la tente de transition, dans laquelle je m'éternise. Ne soyez donc pas surpris que je ne traite pas d'émotions : j'en suis incapable depuis une heure. Les encouragements de deux bénévoles du premier ravitaillement, que je ne suis pas prêt d'oublier, n'y font rien. Je dois mon salut à une anglaise : ironie du sort pour un havrais ! "Go ! Keep on running !". Il n'y a plus guère que lorsqu'ils ont un ballon ovale entre les mains, qu'ils me restent antipathiques.

Me voilà donc ragaillardi et même surpris, lorsque je découvre Romain Guillaume scandant mon prénom (inscrit sur mon dossard). C'est l'un des meilleurs triathlètes longue distance du monde. Ça, c'est l'esprit Ironman ! Les pro qui encouragent les amateurs.
La machine est en marche
- J'irai au bout car rien ne peux m'arrêter
- Je n'ai jamais été le plus rapide en sport, mais j'ai une endurance à toute épreuve.

Un seul mot d'ordre désormais : plaisir. Tous les conseils allaient dans ce sens. Cette photo des Pape ne cesse de m'accompagner pour mieux les illustrer.

J'y ajoute une chansonnette, que seul Morgan comprendra : "Ce soir, c'est ton soir Fréro". Voilà les leviers d'automotivation, qui m'accompagneront. Ils me font énormément de bien. Je suis confiant. A la fin du premier tour, je retrouve Vanessa et les filles avant de passer à proximité de la Finish Line en mode " Un jour elle sera mienne. Oh oui. Un jour elle sera mienne". Cela me donne envie de revoir Wayne's world. Pas vous ? Bref. Si, c'est pas du pur bonheur tout ça ...

... Et bien non ! Il y a encore mieux. Ta femme qui réalise un reportage de dingue et t'avise de toutes les réactions qui tombent par SMS ou sur Facebook : "ton frère et au taquet" ; "BipBip et David t'encouragent ... ma mère aussi". J'en passe, et des meilleurs, comme on dit ! Et lorsque tu les consultes lendemain sur le téléphone, tu te dis que tu n'étais pas totalement déshydraté : il te reste un peu de liquide sous les yeux ...

Je prends le premier chouchou, que je dédie aux copains de MSA TRI et du Free Iron Team, avant de m'engager sur le 2ème tour. J'aperçois Quenotte, à l'arrêt, avec un chouchou de plus et de sacrées courbatures. "Courage ! Pense à Zinzin : ça va revenir". Je ne m'attarde pas car ce n'est pas rendre service au collègue. Plus loin, c'est Ben que je dépasse : toujours ses problèmes d'alimentation, lorsque la distance s'allonge. "Je ne sais toujours pas si je vais te remercier ou te maudir de m'avoir entraîné là-dedans, mais j'ai ma petite idée". Je le retrouverai, alité sur une civière, avant son abandon au 3ème tour. Il va beaucoup mieux. C'est dans ces moments que l'on est particulièrement empathique.

En prenant le deuxième chouchou, j'entends Victoire "Papa : on est super fières de toi". Au troisième et dernier, Solène fera preuve du pragmatisme, qui la caractérise : "de toutes façons, tu es le meilleur pour moi". Ces mots résonnent encore. C'est le bonheur d'être père. "Le bonheur dans l'accomplissement de sa tâche", analysait BipBip, s'agissant du du lien entre le mythe de Sisyphe et notre discipline. Tu ne croyais pas si bien dire !

Mais, revenons à la course. Le deuxième chouchou, c'est pour Black Design et les Decibel. Mes deux groupes de rocks, qui m'ont tant apporté. Un truc sympa, qui devient une passion, puis un véritable Projet ; avec un "P" majuscule. Toute ressemblance avec mon vécu de l'ironman ne sera pas fortuite ! Frustration et Cindy m'activent pour les premiers ; Amy et Un autre Monde (seule reprise de mon répertoire du jour) pour le second. C'est d'autant plus génial, que j'aperçois les fantômes de mes copains de lycée, scandant du "Allez Titine" à tout-va sur les trottoirs. Et "Titine", ce n'est pas inscrit sur le dossard !

Le dernier chouchou, c'est pour BipBip. Autant une reconnaissance qu'une promesse. Après les embrassades de circonstance à mes bénévoles préférés du 1er ravito et le pont, mes pensées vont vers David. Pour tout vous dire, alors que les pro programment le wattage de leur parcours vélo, j'ai plannifié mes pensées/dédicaces positives, que je déclenchais à chaque passage de pont : huit au total qui me permettaient de penser à chacun d'entre vous. Courir à l'ocytocine : c'est juste le pied ! Je cours relâché ; trop pour performer, mais épanoui : c'est l'essentiel. David, donc, me semblait constituer la synthèse de tout cela. Le sport et l'amitié. L'accompagnement dans les moments forts comme dans les temps faibles. Les deux derniers kilomètres confirmeront le fameux "théorème de Martin". Je cours tout seul, tâchant de retenir toutes ces sensations et ces moments à l'infini.

Une dernière salutation à mes supportrices, dont aucun qualificatif ne serait à la hauteur de ce que je ressens pour elles. Puis, c'est le passage de la Finish Line, tant attendu. Elle est mienne comme ce signe est votre : un "M" comme "Merci".


Voilà donc mon premier ironman, bouclé en 13 heures, avec des émotions à l'infiniLa plus récente d'entre elles fût néanmoins la peur. Peur que la fin de ce billet n'accompagne celle de ce Projet, qui m'a tant marqué. Mais il n'y a pas de raisons. Et je compte bien remonter "cette foutue pierre" ailleurs, mais toujours accompagné. C'est fou ce que ça peut procurer comme émotions. Quel bonheur partagé avec mes chéries ! Je ne voudrais d'ailleurs pas décevoir Solène, me demandant : "maintenant que tu as terminé l'Ironman, tu vas faire quel Marvel ?"


A bientôt donc ...


IronLoulou