dimanche 22 septembre 2024

A ma place

Quel con ! J'ai pris le mur du marathon !

Cette pensée m'a réveillé au petit matin, avec cette douleur caractéristique aux quadriceps : quel con !

Plus de deux ans après mon abandon sur l'Ironman de Maastricht, je retrouvais ma trifonction. L'amertume passe avec le temps. Pas l'envie, ni le plaisir de partager une épreuve avec les copains. Avec David, Anne, Xavier et Caro, nous sommes alignés sur le triathlon moyenne distance de Pont l'Evêque. Blessée à l'épaule, cette dernière ne prendra pas le départ. Mais elle m'a préparé un délicieux gâteau sport. Depuis celui d'Oksana, dégusté avec BipBip à Copenhague, je n'en ai jamais mangé de meilleur. De surcroît, elle réalisera un super reportage photo : merci !

A mes côtés (pas uniquement) sur la photo : Xav' - David - Anne - Caro 

Elle est bien étrange, cette capacité de notre cerveau à effectuer une tâche de fonds, comme un ordinateur. Je suis content d'être revenu à cette discipline, qui m'a vu et fait grandir. Satisfait de terminer, pour la première fois, devant David. Heureux - surtout ! - de ce beau moment d'amitié.  Pendant ce temps, imperceptiblement, je cogite. 

What's happened ?

Oui. Il m'arrive de parler en anglais dans mes rêves. Et c'est bien le seul endroit, où on comprend ce que je raconte dans la langue de Shakespeare !

Tout se déroulait si bien. Pourtant les statistiques ne mentent pas. Voici la plus cruelle :

Près d'une heure, pour parcourir un peu plus de dix bornes. Près de quatre cents participants. Ce chrono me situe dans l'anonymat silencieux de la deuxième moitié des amateurs. Je me fais reprendre quarante places. Quarante fois donc - mais je ne les comptais plus - un concurrent me doublait inexorablement.

Pourtant, je me suis préparé avec sérieux. Depuis quatre mois et la reprise de la course à pieds, mes semaines de training avoisinent les dix heures. Mais c'est surtout dans leur contenu, que je me suis appliqué. J'ai programmé scrupuleusement chacune de mes séances. Après la Gravel Of Legend, l'expérience et la confiance ont pris la place des plans d'entraînement des magazines. Au point que je me prends au jeu du coaching pour les copains. Pour la troisième fois, Christophe me demande de l'aider à préparer un challenge : enchaîner deux courses de gravel de 200 et 170 kilomètres en deux semaines. A l'heure où j'écris ces lignes, mon Poulain, a brillamment réalisé son défi, avec cette banane qui le caractérise. Je suis ravi, et même ému, de ce prétexte au partage. 

A l'approche de ce triathlon, j'enchaînais quelques séances prometteuses. Je crois que je n'ai jamais nagé aussi bien. Une chose est aussi certaine qu'elle explique cette sensation : je me régale dans cet élément. En vélo, je maintenais les acquis, tout en me préparant aux spécificités de la journée : la Côte de Torquesne et ses passages à 9%, avant la reprise en position aéro. J'avais repéré le parcours à l'occasion d'un long ride, avant d'aller dîner chez JC. J'en profitais aussi pour rouler avec Jo, qui habite à proximité de Pont L'Évêque. Les entraînements changent ; pas ma philosophie du sport. En course à pieds : plus les formes que la forme ; de l'aisance à défaut de la vitesse. J'espérais faire plus que limiter la casse. Alors ...

Why ?

Oui. Je suis encore en train de rêver ; tandis que les images de cette belle journée accompagnent mon imaginaire ensommeillé.


Retour en arrière, à quelques minutes du départ. Je me suis paré de mon bonnet rose ; souvenir nostalgique de Copenhague. 

Xav' m'aide à rentrer mon ventre pour prendre une jolie pose, avant d'en découdre.


Plouf-Bam-Bam-Bam ! J'avais oublié combien ça cognait en natation sur ce type de format. A l'approche des bouées, on grimpe systématiquement les uns sur les autres. C'est dans ces instants qu'on comprend l'importance de certains éducatifs de natation : le battement de jambes et de la nage "poings fermés". La sortie à l'australienne, consistant à courir sur la plage avant de replonger, ne permet pas d'étirer le peloton. Plouf-Bam-Bam-Bam : "Si je prends des coups, c'est que je suis dans le coup !". Statistiquement imparable. Mieux : ce mantra que j'ai préparé et fais mien :

Je suis à ma place. 

Je me bats avec des mecs probablement de bon niveau ; du mien en tous cas. Je suis au rythme que j'ai travaillé. Je ne m'affole ni ne m'enflamme, car je suis à ma place. Lorsque ma montre indique plus de 30 mn de nage, alors que je visais moins de 28 ; je ne suis pas déçu, car je suis à ma place. Bien m'en a pris. En analysant le GPS, je constaterai que le parcours faisait 1  600m (vs les 1 500 annoncés). J'ai donc nagé à un rythme d'1'53 par 100m ; conforme à celui que j'avais prévu. J'étais donc ...

... à ma place


Après avoir défait laborieusement ma combi, je rejoins mon vélo, tandis que David s'élance. Il a considérablement progressé en natation. Si j'avais merdé, il serait déjà loin. Je réalise une transition moyenne, avant d'envoyer les watts. Je le rattrape peu après la côte. Le repérage a été vraiment bénéfique. Je me sens très en jambe. Un encouragement et je file, bien posé sur les prolongateurs. Quel kiff ! Cela me manquait.

Ce qui me manquait moins, c'est le drafting. Autant, profiter de la roue du mec de devant est conseillé, voire vital, sur les épreuves de cyclisme que j'ai réalisées ; autant en triathlon, c'est interdit. Et derrière, il y a pas mal de mecs qui me matent le cul et me sucent ... la roue ! Ce qui m'agace le plus, c'est lorsque que le groupe me double et qu'un gars me fait une queue de poisson pour y rester.

"Draftez si vous voulez, mais draftez propre !"

Je me ressaisis et me concentre. Peu importe ce que font les autres, malgré les remontrances des arbitres bien présents ; je suis à ma place. Lorsque je retrouve le parc à vélo, un bénévole m'indique que je suis 124ème. C'est conforme à ce que je visais. Je suis à ma place.

Top 100 : une place encore réservée aux courses avec ma Quenotte

Je m'engage sur la course à pieds, concentré sur ma foulée. L'enjeu est double : ne pas partir trop vite et de ne pas se tordre la cheville. Le parcours emprunte des parties herbeuses qui pourraient être piégeuses. 

Sur la fin du premier tour, Xav' m'interpelle ; alors qu'il en termine avec le vélo. Pendant ce temps, je l'ignore encore, David retrouve sa foulée des grands jours.
David : ne t'habitue pas trop aux sentiers, ce sont des pavés qui nous attendent en avril 2025 !

Je m'interroge sur l'identité de tous ces concurrents qui me dépassent. L'organisation ne fournit pas de bracelet, permettant de savoir combien de tours nous avons parcouru. Habituellement, si je suis doublé par un gars qui en a un de plus que moi, c'est logique : il était devant et cours plus vite. Sur le deuxième tour, je comprends aisément que le premier vient de m'enrhumer. Il est précédé du VTT de régulation. Mais ensuite ; c'est qui ? Les mecs qui me précèdent ou qui me suivaient, plus frais, surtout s'ils ont drafté ? Je suis de moins en moins dominant à l'impact. Cette baisse de rythme pouvait me déstabiliser avant, provoquant jusqu'à mon seul abandon à Maastricht. Mais, je me raccroche à mon mantra. 
Je suis à ma place. Je donne ce que je peux. Tout ce qu'il me reste. Ceux qui sont devant sont plus fort : dont acte. Je suis à ma place.

Le classement me donnera la réponse. Les données de mon GPS ; l'explication. Grosse baisse de régime, après 35 mn de run. Comme si j'avais tapé le fameux mur du marathon. Paradoxal pour un triathlon, qualifié de moyenne distance. Les pro ont joué l'or aux JO en 1h45 : c'est court. Sauf que non ! Le premier à mis 2h09 : un temps similaire à celui de l'élite du marathon. J'ai été en prise de bout en bout. D'abord la nata-baston. Ensuite un vélo avec des efforts à fournir dans la côte, comme sur le plat, pour éviter les groupes et être ainsi pénalisé. Malgré mes séances d'intensité, cela faisait bien longtemps que je n'avais pas couru dans cette zone d'effort pendant plus de 2h30 d'affilées. Alors, j'ai pêté. Je n'ai pas eu la lucidité de m'alimenter pour compenser cette rupture glucidique. 

Quel con ! J'ai pris le mur du marathon !

Mais, je suis fier d'avoir donné le meilleur, avec mes moyens du jour. J'étais à ma place.

Le meilleur arrivait justement. David, puis Anne et Xavier me rejoignent à l'arrivée.

Anne : La dernière fois, qu'on la vue aussi souriante et pressée, elle allait se marier avec David


Ce smile : quand je vous dis, que Xav' c'est le plus gentil !


164ème en 2:51:36. J'étais à ma place.

Mais il y en a une, dont je me lasse pas et que je ne quitterai jamais.

Ma place ; c'est d'être entouré de mes copains, avec un dossard ou une bière à la main.


IronLoulou